mardi 5 avril 2011

Vers la terre natale et éternelle de nos frères.





La famille Goujon n’a eu de cesse de nous accompagner dans cette tragique histoire. Leur patience, leur écoute et leur aide nous ont été précieuses. Le dernier week-end, Martin et Romina ont su nous changer agréablement les idées en nous emmenant voir de véritables cathédrales de sables à Empedrado en Corrientes. Sur la rive du Paraná nous déambulons dans un décor unique taillé par l’érosion. Canyons asséchés de terre meuble laissant apparaître les différentes couches sédimentaires. La silhouette noire des orages passagers ne fait que renforcer les contrastes entre le vert végétal et le jaune orangé sablonneux qui s’étale le long de la langue bleue du fleuve où flottent les barques des pêcheurs. Des mangues à la saveur exotique, la bière aux fines bulles et le vin de la gourde basque ajoutent un air gastronomique propre à notre humeur du moment.

De l’autre hémisphère de notre tête, nous établissons un plan pour sauver Godo et Mouloud de l’épidémie d’anémie infectieuse qui hante la région. Tous ici le disent, au Chaco, pas un cheval n’est épargné. Les plus faibles meurent et pour ceux qui survivent, les propriétaires allègent le travail et injectent un complément de fer. Les principaux vecteurs de la maladie sont les taons et les moustiques. Les risque est plus qu’élevé malgré les précautions d’isolement que l’on peut essayer de respecter dans un pays qui pullule de chevaux. Il suffit de si peu. Le stress est au plus haut jusqu’à ce que l’on reçoive les nouveaux tests sanguins, par chance négatifs.

Elizabeth Mastrizzo, une douanière au drôle de bagout rencontrée à la hâte des mois auparavant à la poste de Rosario, m’avait laissé son contact en disant connaître un haras à Tucumán. Elle nous met en relation avec José Miguel de la Jara, dit Coqui, qui accepte de nous accueillir pour un temps. Faisant nos adieux à la famille Goujon, nous chargeons les chevaux dans un van direction zone libre d’anémie.

C’est un type d’exception que nous rencontrons là. Le calme, la gentillesse, l’humour et la sincérité émanent de sa personne. Il nous dévoile ses passions. L’élevage de chevaux «paso péruano » ainsi que son « musée de pornographie équine » s’amuse-t-il à dire avant de nous inviter dans son antre. Un véritable musée effectivement qu’il dissimule dans sa petite maison de pierres. Tout ce qui se rapproche de près ou de loin au cheval y est entreposé, accroché, disposé. Freins, licols, selles, filets, cravaches, étriers de tous temps et de toutes fabrications. Les murs sont meublés des photographies de ses anciens chevaux et de leurs prix de concours. Quelle confiance pour prêter cette demeure à des étrangers pendant que lui s’en retourne dormir à sa maison en ville. C’est un petit coin de paradis que nous découvrons le lendemain. Des plantes sont suspendues tout autour de la maison et son préau. Des statues et objets de récupération ornent le lieu ombragé d’un feuillage éclatant. A notre constat de l’humidité ambiante, Coqui affirme qu’il pleut depuis décembre ! Le ruisseau en contrebas charrie une eau terreuse et abondante.

C’est au tour de la présentation des petits chevaux péruviens. La belle Prima exécute l’énergique démonstration d’un pas appelé l’amble. Du haut de ses quarante-six ans, Coqui a fondé le haras COPE avec son père Don pepe il y a maintenant vingt-cinq ans. A la fois mécanicien diéséliste, éleveur et président de l’association rurale agricole de Tucumán, il s’évertue à obtenir le cheval parfait « qui n’existe qu’en rêve ou en dessin » ajoute-t-il.

Chaque jour nous passons l’après-midi en sa compagnie, à boire le maté avec ses amis qui passent régulièrement ou à s’occuper des chevaux. Un étalon et deux juments sont en débourrage. Le voir faire est un apprentissage constant de patience, de connaissances et de techniques. Cesar, l’aide de Coqui au haras devait prendre son mois de congé. Voulant se rendre utiles, nous l’avons remplacé et pris notre rôle de « Cesaritos » à cœur. Plus divertissant que contraignant, et surtout un enseignement que d’être au contact de jeunes chevaux encore peureux. A côté, son troupeau d’une vingtaine de poulinières arpente les quarante hectares de campo à la végétation luxuriante. Coqui se doit de les visiter tous les deux jours pour vérifier que les mouches ne viennent pas pondre sur une quelconque blessure, donnant rapidement vie à des vers qui dévorent les tissus. Les joies d’un climat chaud et humide. Au milieu de ses juments, il nous montre une pouliche d’à peine trois mois. Il décrète que désormais elle aussi s’appelle Clio !

Le samedi rime avec une belle tablée d’amis. Miguel, Gonzalito, Victor, Sebastian « el peladito », Nene, Don pepe et Cesar se réunissent autour d’un délicieux poulet au disque préparé par le cuistot Coqui. Du bon temps, tout simplement et toute la journée.

Bientôt trois énergumènes de plus seront assis à la table. Nous cherchions une petite location et un campo pour accueillir des invités spéciaux. A Coqui de nous demander très étonné : « Et pourquoi, vous n’êtes pas bien chez moi ? » Nous ne voulions tout simplement pas abuser, mais ce dernier nous invite à rester le temps souhaité. Tout est près pour le débarquement des Brandehos. Patricia et Didier, les parents de Clio en sont déjà à baragouiner quelques mots de franspagnol avec les autochtones pendant que Tim drôlement changé depuis un an a un tas de choses à raconter à sa complice de sœur.

Direction la fête de la Patcha Mama à Amachaï en pleine vallée des cactus. Folklore local et types indiens, la Pacha Mama a soif et son peuple aussi. Un sacré numéro trimballe son cheval partout, entre les tables, sur la piste de danse. Il ne fait aucun doute que c’est le canasson qui ramènera chez lui le maître trop cuit pour se rappeler de la route. Un autre sûrement né à cheval et tellement bon cavalier qu’il imprime ses mouvements désordonnés à sa monture, à tel point que ce dernier paraît saoul lui aussi. Fête populaire pleine de couleurs qui dure jusqu’à pas d’heure.

De retour au haras de Coqui, Clio prend à cœur d’enseigner l’équitation à sa famille. Didier et Tim trouvent rapidement leurs aises pour finir par débouler au galop en lançant des sapucay* dans l’air, le sourire jusqu’aux oreilles.

Pendant quelques jours, nous partons à l’assaut des montagnes aux sept couleurs, la quebrada de humahuaca, la quebrada de las conchas, Salta, Cafayate, Tafi del Valle, les ruines de la cité indienne de Quilmes. Les paysages et les températures changent au fur et à mesure de l’altitude et des régions. La Cordillère des Andes y prend toute sa dimension, époustouflante de grandeur et de diversité. Forêts subtropicales aux gigantesques arbres enchevêtrés et son tissage de lianes, pentes pierreuses et venteuses, cactus centenaires, vallées d’épineux, canyons démesurés, montagnes aux multiples couches sédimentaires peuplées d’animaux rustiques tels que l’âne, la chèvre et le lama. La chance permet d’apercevoir les condors qui tournent haut dans le ciel, déployant leur incroyable envergure. Plus on se dirige vers le nord et plus les populations indiennes quechua sont nombreuses. Les marchés populaires sont animés, pleins d’odeurs et de couleurs. Tout le monde chique les feuilles de coca dont nous testons les propriétés plutôt deux fois qu’une. « Cha fait pluch local comme cha ! » plaide-t-on les joues comme des hamsters.

Le reste du temps est dédié aux discussions en tucumano-francés-castellano-de-la-calle avec l’éternel maté et toute la bande de notre hôte. Un échange d’idées et de cultures intéressant comme toujours, hélas trop court. Comme le dit avec juste raison Coqui : « El bueno dura poco », et il est déjà temps pour les Brandehos de retrouver leur hunide Bretagne.

Pour nous aussi les jours sont comptés. A part les chauves-souris suceuses de sang, le climat est favorable aux chevaux, l’herbe bien verte. Etant en altitude, la chaleur et les moustiques sont une douceur comparés au Chaco. Nous n’avons pourtant pas trouvé la bonne maison pour laisser nos frères chevaux. La famille Calgaro dans la région de Corrientes nous avait bien proposé de les garder en retraire dans leurs trois milles hectares, mais le climat et les bestioles les ont fait suffisamment souffrir et il serait insoutenable de les savoir là-bas. D’après certains gauchos il arrive que des vaches ou chevaux importés d’autres régions meurent de tristesse tellement les conditions de vie leurs sont difficiles. Il ne nous reste qu’une solution, même si le voyage en camion va nous coûter un œil, il faut les ramener dans leur Patagonie originelle. Les hivers y sont rudes mais ils y sont habitués, il n’existe pas le moindre moustique et les campos y sont immenses. Un coup de fils et nous trouvons enfin la marraine idéale et de confiance. Après un mois et demi passé à Tucumán, nous quittons les larmes aux yeux toutes les personnes, et principalement Coqui, qui nous ont tant apporté.

Ce sont trois interminables jours de camion pour redescendre jusqu'à Bariloche. Ne pouvant être à plus de trois à bord, Rudy et Orlando doivent nous dissimuler pour faire la nique aux barrages de police. Un tatoo attrapé sur le chemin et promis pour la casserole passe lui aussi clandestinement le poste phytosanitaire de la Senasa.

Quelle joie de retrouver nos connaissances de Patagonie, et tout principalement Kata qui nous avait vendu Rita. Julien, un ami francaoui rencontré à Entre-Rios aujourd’hui amouraché d’une petite argentine, est aussi dans les parages. Employé dans un bar alternatif, voici l’endroit tout trouvé pour fêter les retrouvailles sur un fond de rock n’ roll.

Nos idées pour placer nos compagnons ont mûries. Les retournant des centaines de fois dans nos têtes, il a un jour fallu conclure. L’objectif est de leur rendre une vie de cheval à l’état semi-sauvage telle qu’ils ont pu connaître dans les étendues patagoniennes. La pension annuelle dans le campo de Raúl sur deux mille sept cents hectares est de trois cent euros pour les deux chevaux. Il nous est impossible de payer ce prix jusqu’à leur belle mort. Aussi nous avons choisi de les offrir à deux marraines en qui nous avons entière confiance, et ce à condition de les garder pour toujours et de leur offrir de bons soins. Nous confions Mouloud à Kata et Godo à Ana, une de ses amies rencontrée l'année passée. Les contextes de vie, la passion et la sensibilité de ces deux personnes font que nous sommes sûrs d’avoir fait le bon choix. Les chevaux ne travaillerons que très peu, seulement quelques balades de temps à autre, et retrouverons le campo que nous voulions leur offrir et vivrons en troupeaux. Ils ne manqueront pas d’attentions de toute leur vie, nous en sommes certains.

Il est difficile de se résigner. Nous ne sommes pas encore séparés que les larmes nous montent déjà aux yeux, le cœur se serre…




*cris gauchos

3 commentaires:

  1. bonne continuation à vos deux compagnons , avons récupéré les brandéhos plus épanouis que jamais , mais j'ai bien peur que vous leur avez filé le virus du voyage....attendons votre retour ,grand merci de nous avoir fait voyager et partager avec vous ces merveilleux moments, gros bisous à vous deux

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  2. Nous sommes heureux d'avoir eu de vos nouvelles. Bises à vous deux et à bientôt en Bretagne.
    Muriel

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  3. Hola Clio. Hola Arnó, ya regresaron a Francia? siempre los recuerdo, un abrazo, esther-
    Escriban

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