jeudi 12 août 2010

Pampa pelée

Ce ne sont pas les paysages de la province de Santa-Fé qui peuvent se vanter d'embellir une cavalcade. Ici le soja est roi. Des milliers d'hectars consacrés à sa culture. Le blé et le maïs tentent de rivaliser. L'élevage de bétail a été abandonné depuis peu. Le soja rend fou. L'hiver la pampa est pelée. Tout est gris, pas un arbre. Les villages aussi sont déserts. La ruée vers la cité. Maggiolo survit grâce à ses silos et sa voie de chemin de fer. San-Francisco est en train de mourir. De deux mille habitants le village est passé à quelques cinq cent habitants. Quelle fut notre surprise en découvrant une compatriote dans ce coin perdu. Julie faisait partie de l'association Responde qui tente de faire revivre les villages en voie de disparition. Revenue six mois plus tard non pas par amour de l'Argentine mais plutôt d'un argentin, elle se rend compte que lorsque l'association ne pousse pas derrière, la mobilisation n'est plus aussi forte.
Hansen is dead. Cette colonie de mille habitants s'est fait avalée par l'agriculture intensive. Seules trois personnes gardent encore les lieux. Une petite dizaine maisons sont encore érigées. les autres ? Elles subissent un drôle de sort. Que ce soit Eduardo à Maggiolo, Andrès à San-Francisco ou encore Antonio à Hansen, tous nous content la même histoire. "La loi de Amparo interdit d'expulser une famille qui ont des enfants d'une maison, même squattée. Pour éviter cela, les nouveaux propriétaires des terrains abandonnés les détruisent à la pelleteuse. Ils creusent un gigantesque trou, coupent les arbres et les enterrent en même temps que les débris des habitations. Deux semaines plus tard, ils plantent du soja par dessus."
Pour les producteurs chaque centimètre carré est important. Les derniers arbres sont abattus en dépit de leur rôle majeur sur l'écosystème. Certains s'approprient même les bas-côtés des chemins, semant jusque de l'autre côté des clôtures.

Heureusement les rencontres anéantissent la désolation environnante. Joignant les villages chaque jour au rythme des buissons qui roulent au vent sur le sable de la piste, nous cherchons les meilleurs pâtures pour nos chevaux.
La famille Soliman leur ouvre les portes de leur petit jardin à Maggiolo. Eduardo qui est menuisier nous prête une roulotte qu'il est en train de rénover. Nous n'aurons de cesse de satisfaire la curiosité des Soliman. Le maire se déplace pour savoir s'il peut nous rendre service. Au matin, ce sont toutes les camarades de classe de Dayana qui s'attroupent devant l'atelier, ne perdant pas une miette des préparatifs de départ.

A San-Francisco de Santa-Fé, Nilda confie nos équipiers à son troupeau de veaux. Julie nous présente la famille Zarich-Icutza. Devant leur gentillesse et leur humour nous ne pouvons que rester une journée de plus. A l'école, c'est l'embuscade. Alors que nous emmenions Bélen à cheval, nous sommes réquisitionnés par Dora, sa mère qui est institutrice, pour une mini conférence. Nous ne voyons pas beaucoup Andrès qui est préoccupé par la comptabilité de la coopérative. Les chiffres sont les chiffres. Il aura tout de même le temps de nous préparer un succulent plat de poisson (le premier en six mois dans ce pays carnivore) accompagné d'un chablis de Mendoza. Nous ne reprenons la route qu'après avoir fêté rapidement "el dia del niño" en compagnie des élèves.
Cela a beau être le jour de l'enfant, il y a parfois des claques qui se perdent. Ceux de la famille à côté de laquelle nous campons à La Chispa nous font perdre notre sang-froid. Touches à tout et irrespectueux, le manque d'éducation se fait cruellement sentir. Le père travaille toute la journée à l'abattoir pendant que la mère est chargée de s'occuper des huit enfants au foyer.
Renversant le baromètre, la petite Valentina vient avec ses parents pour nous offrir du fromage et un dessin. Admirative devant les chevaux, elle aurait volontier pris la route avec nous.

Pour continuer d'avancer, nous devons ficeler Kali sur le dos de Godofredo pour quelques jours. Elle tire sa convalescence d'une tendinite. Au repos, elle dégouline sur les caisses de bât. Au bout du sentier, San-José de la Esquina avec la promesse d'y reposer un temps la patte de notre chienne aventurière.
Par l'intermédiaire d'un géant surnommé La Vaca, nous faisons connaissance avec les membres du centre traditionaliste "Virgen de la Merced". Cette association équestre organise ce week-end une fête de jeux d'adresse criolla. Nous hésitions à rester autant de temps à San-José, mais voici que la maitresse se retrouve dans le même état que son chien. Alors que nous emmenions les chevaux à cru dans un enclos prêté par Jorges, le président du club, nous nous faisons embarquer. Un poulain effraye nos trois compères que nous montions seulement en licol longe. Impossible donc de les freiner. Clio nous fait alors une magnifique voltige pour atterrir en salle de radiographie à l'hôpital. Plus de peur que de mal, mais le repos est nécessaire pour résorber le superbe hématome de son pied.
Nous passons donc le plus clair de notre temps avec Pacha, Yami, Juan-Pablo, Natalia et Alejandro. Qu'il est revigorant de rencontrer des jeunes. Une espèce que l'on ne trouve plus qu'en ville, laissant la campagne aux mains des vieux et respectables gauchos.

lundi 2 août 2010

Lagunas y amistad


Les moulins d'eau salée font place aux lagunes abritant toute sorte de faune. Le ravitaillement en eau pour nos animaux ne se pose plus. Pour nous le liquide salé provoquant des noeuds dans l'estomac est à éviter. L'approvisionnement en fourrage est parfois plus compliqué. En hiver, les champs sont ratiboisés par le bétail. Les bords des chemins ne sont plus aussi larges qu'avant. Certains agriculteurs y fauchent même l'herbe pour leurs bêtes. Et que reste-t-il pour nos herbivores ? Des lieux idylliques s'offrent à notre vue. Une saline où pataugent flamands roses et ibis noirs ferait un bon lieu de bivouac si tout n'était pas privatisé. Pour la première fois nous sommes contraints de continuer de nuit pour assurer le couvert aux chevaux.

Tout cela n'est que de courte durée. A San Joaquin nous sommes accueillis par les autorités du village. Bientôt Rita, Godo et Mouloud croquent à pleines dents l'herbe du jardin de la police pendant que Javier, le maire, nous offre le gîte dans le salon communal. Nous sommes aux petits oignons. Javier nous donne deux kilos de miel de sa production, sa femme Graciela nous fait des gâteaux, et même le sergent Adrian nous ramène des sucreries ! Le matin, c'est l'attroupement autour de nos préparatifs. Tout le monde se groupe pour la photo de rigueur. En se quittant, Adrian nous fait savoir qu'il a prévenu la police du prochain village de notre arrivée.

A Riobamba, tout est déjà prévu. Manuel le policier nous invite à prendre une douche au poste. Miguel, le maire, installe les chevaux dans les corrals de la feria, et nous nous allons dormir... à l'église. Déjà que nous fricottions avec la police, mais jamais nous n'aurions pensé passer la nuit chez le curé.
A la superette du village qui sert aussi de bar, l'ambiance est authentique. La vieille au gentil sourire parait minuscule derrière son immense comptoir en bois vieillot. Les jeunes mécanos parlent fort après la débauche pendant qu'un vieux gaucho barbu s'enfile des Fernet sans mot dire. Le renfrogné étanche sa curiosité et se déride autour d'une bière. Manuel lui, passe son service à discuter avec les copains. Dans un village de soixante habitants le tour est vite fait.
Un lever tardif nous empêche de partir. Et puis nous avons envie de passer du temps avec Miguel et sa femme. La journée passe vite autour du maté, Miguel est préoccupé par ses bêtes qui n'ont plus un brin d'herbe à manger. Le comble de l'agriculture intensive. Tout est cultivé au détriment du bétail, et l'hiver les paysans sont obligés de donner les céréales récoltées à l'automne pour les nourir. Mais pour Miguel, les vaches ont besoin de manger du vert et non du maïs.
Les mécanos nous aident à arranger nos selles à coup de soudures. Comme toujours, il y a des modifications à apporter au matériel. Ils y passent une bonne partie de la journée et pourtant ils refusent de nous faire payer. "Vous viendrez boire un coup avec nous." disent-ils simplement.

Alors que tout le monde parle de la vague de froid polaire qui sévit dans tout le pays, nous remontons quelques fois la tente sur des terrains abandonnés ou prêtés. A El Restreador, nous en savourons d'avantage la bière au coin du feu avec Pépé et Chicha. Louchant sur un prés, nous faisons un peu peur au vieux Louis en lui demandant la permission d'y camper. Au fils de la discussion, il prend confiance et nous envoie chez Pépé, le maire. Lui aussi se demande au premier abord ce qu'on peut bien lui vouloir. Au bout de quelques minutes, lui et Chicha se comportent comme de bon vieux grands parents. Ils refusent même que nous lui réglions la bière et les quelques achats de sa superette. "C'est pour le plaisir que vous avez et que vous nous donner à découvrir l'Argentine" dit-il avec un petit sourire timide. De pareils gestes cela arrive souvent, mais à chaque fois nous tombons de haut. Que dire si ce n'est un grand merci et garder une pensée pour tous ces gens qui nous donnent une puissante énergie.

Sur le chemin, la vague de froid sévit toujours. Le vent balaye le sable de la piste, les buissons roulent devant nous façon western. Le soir, un ciel rougeoyant annonce la gelée. C'est sous un pareil soleil de feu que nous approchons une colonie de flamands roses. Leurs cris sereins retentissent doucement dans la pampa. Sentant le danger, les ailes pourpres sélancent pour ensuite tournoyer au dessus de la lagune. Cette petite expédition nous a fait oublier le temps et nous vaut de voyager une fois de plus à la lueur de la voute céleste.


A la Carlota, Lucas un jeune de dix-sept ans nous donne l'illusion que nos chevaux vont brouter du vert durant deux jours. Rêve brisé, le véritable propriétaire du champs surgit en grande furie. Le repos sera donc à la longue corde avec l'herbe sèche de bordure de chemin. Trop tard pour se mettre en quête d'un autre lieu.
Lucas vit chez Eugenio car il s'est disputé avec sa mère. Il préfère arrêter les études pour danser le folklore. Nous en apprendrons un peu plus sur lui trop tard. Un "vago" ou "gato negro" comme disent les gens ici. Nous nous quitterons en mauvais termes, le soupçonnant de vol. Il est pourtant bien difficile d'accuser quelqu'un qui offre l'hospitalité.
Eugenio du haut de ses soixante dix sept ans et de ses trois infarctus profite de la vie à sa manière. C'est entouré de ses chats et ses chiens qu'il aime se prélasser au soleil à l'abris du vent près de la facade décrêpie. Un artiste aux justes raisonnements. Il ironise sans cesse dans sa grosse barbe blanche surplombée de son inséparable casquette. Il déambule avec sa canne sur le chemin avec sa meute en se fendant la poire. Diminué physiquement, il ne peut plus guère s'occuper de la maison. Il vit dans la crasse et les courants d'air. Lucas lui, plutôt que de l'aider préfère se promener la nuit et dormir la journée.

Heureux de retourner dans la brousse et d'oublier la Carlota, nous arrivons rapidemment au Pasaje d'Olmos. Village fantôme témoin de l'exode rural. Deux gamins jouent dans les ruines au milieu des moutons. Ils nous indiquent la maison de leurs parents. La famille Pedraza reste seule occupante des lieux. Tout de suite le contact passe bien avec Andrea, Vanessa et Daniel. Alors que nous bavions sur les champs luxurieux, ils nous annoncent qu'il y pousse une plante toxique. Les chevaux qui ne la connaissent pas la mange et peuvent en mourir. Après mure réflexion, ils trouvent à héberger toute notre caravane.
Le soir même, pas le temps d'écrire le journal de bord ni de se coucher tôt, Sofia et l'Alazan ont du bagoût. Andrea revient vers vingt-deux heures de la Carlota armée de coca et de vin en briques. Buvant le fameux calimucho et dévorant les délicieuses tortas fritas d'Andrea, nous durons. A minuit toute la famille passe à table. Chorizo et boudin noir. Les enfants grignottent sans décoler les yeux de la télévision. "Nous avons l'électricité depuis peu, cela nous a changé la vie." dit Sofia avec raison. Mais comme toute chose, il y a du bon et du mauvais.
Couchés à pas d'heure, il est bien difficile de se lever. Trainassant pour charger, accompagnés par les petits Coco et Carlos sur leurs poneys miniatures, discutant au soleil avec Sofia et l'Alazan, nous finissons par repousser le départ au lendemain. Nous sommes en trop bonne compagnie pour partir si vite. Après que Coco et Carlos aient fini de jouer les tornades ambulantes, ils partent à l'école à dos de poney avec Morena. Le rêve de gosse de Clio.
Le reste de l'après-midi est consacrée à la traite des vaches avec Vanessa et ses filles Paula et Oriana. Andrea revient à cheval poussant les vaches dans un nuage de poussière. Ici ce sont les femmes qui gèrent la baraque. Mais bientôt le calme est trépassé par Carlos et Coco qui reviennent de l'école à cheval. Ils galopent dans tous les sens, font virevolter le rebenque pour ranger les vaches et leurs veaux.
Avant de partir, nous passons une dernière soirée chez les Pedraza. Carlos le mari d'Andrea sert le maté pendant que la famille nous fait faire le tour des photos encadrées aux murs. Jinetiad, courses, défilés, tout y passe... El Alazan offre son couteau à Clio pour remplacer celui qui avait mystérieusement disparu à la Carlota. "Comme ça, dit-il, les bons effacent toujours les mauvais."
Citation véridique en ce qui concerne notre voyage.

Voici belle lurette que nous ne montons plus la tente, ni dans les estancias suivantes. Chez Mondino, les ouvriers sont surpris de découvrir au petit matin deux français dans la roulotte de chantier. El Basco nous a tenu compagnie jusqu'à tard, partageant maté et saucisson.
A Alejo Lesdeman, un motard s'arrête à notre hauteur pour nous proposer spontanément un endroit où passer la nuit. Chiquiti est heureux de pouvoir rendre ce simple service à des voyageurs.
En arrivant à Arias alors que nous demandions de l'eau pour les chevaux, Arnoldo nous propose de rester chez lui. Voici trente-cinq ans qu'il entretient sa ferme. Avant il était aussi boucher. Il a fermé son commerce voilà cinq ans. "Ras le bol des horaires, scande-t-il, je veux profiter et prendre mon maté quand il me plaît !" Seule ombre au tableau, sa femme ne le comprend pas. Amoureux des chevaux, il collectionne les vieux harnachements, les parures en cuir, les tableaux de Molina campo, les carioles d'époque. La ferme regorge d'animaux. Chevaux, vaches, poules, cochons, lapins, brebis, chiens, chats, et même des canaris de collection. "Je suis aussi le seul fou que tu verras avec une charette tirée par quatres énormes taureaux aux longues cornes !" rigole-il.
Comme chaque fois que nous dormons sous un toit, il est difficile de sortir du lit. Pour couronner le tout, au moment de partir, un journaliste arrive pour réaliser une interview pour le canal local. La quatrième en un mois. Pays pourtant cavalier, les gens disent ne pas rencontrer de tels voyageurs. Il est certaines régions où l'usage du cheval se perd. Dans la cordillière alors que les gauchos font encore le tour des propriétés à cheval, dans les provinces de la Pampa et de Cordoba, c'est en pick-up ou en moto que les paysans font leur tournée. Bien sûr nous n'oublions pas de dire que nous recherchons un mécène pour ramener nos chevaux en France à la fin du voyage.
L'heure tourne et Arnoldo nous conseille de rester chez lui. Même s'il est débordé entre sa femme et ses animaux, il trouve le temps entre deux aller-retour de prendre le maté avec nous. Il nous offre même en toute confiance de rester dans sa maison durant ses absences. Nous ne reprendrons donc la route pour Santa-Fe que demain. Les conditions météo et l'état des pâtures nous ont fait changer de direction. A présent c'est à l'appel de la Mésopotamie et la promesse d'un climat plus tropical que nous répondons.