vendredi 30 avril 2010

La fin du commencement.

Enfin peut-être prêts pour l'aventure..." Chaque jour nous nous répétons cela. Le temps file, nous échappe. A tel point qu'en croyant être vendredi, nous étions étonnés de toutes ces échoppes fermées. "C'est sûrement un jour spécial le vendredi chez les chrétiens, ou bien c'est ferié ?" s'interrogeons-nous. En réalité, nous étions tout simplement un dimanche et nous avions omis deux jours dans la semaine. En plus de notre décalage, il y a les "rendez-vous argentins", ce qui en d'autres termes signifie "poser un lapin". Il n'y en a pas un qui soit à l'heure, et encore lorsqu'il daigne bien venir. Alors on reporte, et on attend. "Demain ce sera peut-être bon..." ressasse-t-on.

Pour ce qui est du matériel, les recherches et les emplettes touchent à leur fin. Le choix a été difficile tellement il n'y en a pas. Le confort du cavalier passe avant celui du cheval. Les bonnes vieilles habitudes empêchent l'évolution. Pourtant, en jettant un regard à la ronde, on se croirait dans une ville européenne, technologie y comprise. Ce pays à la réputation cavalière ne met pas la science au profit de l'équitation. Il y a tout de même plusieurs sortes de selles, mais toutes plus inadaptées les unes que les autres aux dos des chevaux. Les arçons de la selle chilienne sont trop plats et le siège touche la colonne vertébrale. L'endurance argentine ne semble pas toucher non plus de manière uniforme à moins d'avoir un cheval au dos plat et au garrot noyé. Le confort du cavalier est agréable mais leur solidité laisse à désirer. Au bout de quelques heures des coutures lachent, des vis cassent, le bois est trop léger pour être robuste. La selle du jeu de pato (origine du horseball) s'est montrée trop tard mais les modifications sont nécessaires et la question de sa solidité se pose également. Finalement, nous avons opté pour la selle locale, la congacha. Ici les gauchos ne jurent que par elle. Evidemment son prix est moindre que les autres vu qu'il est difficile de faire plus épuré. Elle est constituée de deux arçons en bois nu, bien galbés (ce qui est son seul atout) et chaussant tous les chevaux. Ils sont reliés par deux arceaux de métal et le siège est une simple bande de cuir tendue entre les deux. Le confort du cavalier étant relatif, il faut rajouter une peau de bête. Quelques modifications ont été nécessaires pour les selles comme pour les tapis. Modifier le sanglage, recouvrir les arçons de mousse et de cuir, découper le garrot des gros tapis en laine, fabriquer des colliers et des croupières, adapter une congacha pour le cheval de bât... Heureusement, Hugo, un cordonnier de Bariloche, a mis son savoir faire à notre service. Ses prix sont certes onéreux, mais son travail nous est indispensable. Il a aussi réalisé les sacoches et les boudins de céréales pour notre petit porteur. Lorsque nous sommes venus le voir la première fois pour le mandater, à notre plus grande surprise il a sortit de son tiroir Techniques du voyage à cheval d'Emile Brager. La bible que nous avons tant cherché en France, et que nous avons fini par soutirer à Muriel et Antoine, nos mentors du Poney Club de Chaux. Sans ce livre nous serions passés à côté d'une multitude de petits détails. Sacré Mimile, il a étudié la chose ! Autant dire que nous sommes tombés de haut en le voyant entre ses mains, et Hugo de nous dire qu'il peut réaliser ce que l'on désire.

Le cordonnier et sa femme ont profités d'une de nos venues pour chercher du matériel pour nous tendre une embuscade à coup de bière et d'escalopes à la milanese, une des préparations favorites des argentins. A cinquante deux ans, le voici déjà deux fois arrière grand-père. Dans beaucoup de familles, les enfants vivent encore chez les parents jusqu'à un âge avancé, ici la fille cadette. Autant dire qu'il y a de la vie avec son compagnon hilare qui lève bien le coude et le bébé dont Hugo et sa femme sont complètements gagas.
Au cours du repas, les échanges d'opinions n'ont à notre habitude pas su éviter les sujets qui fâchent. Question religion, il n'y a pas trop besoin d'argumenter même s'ils trouvent bizarre de ne pas croire en une force qui les dépasse. Mais lorsque Hugo vient à déblatérer des propos plus que douteux à l'encontre des noirs et des juifs, nous ne pouvons pas garder notre langue dans notre poche. Le plus décevant est que ce genre de discours est récurant. Les indiens aussi en prennent pour leur grade, pourtant natifs de ces terres. A ce moment, les informations parlent d'un certain avion qui s'est écrasé avec à son bord des membres du gouvernement polonais. Cela nous rapelle les ravages de la pensée unique de notre terre natale. Si seulement le coq français pouvait s'écraser dans son tas de fumier.
Finalement la musique met tout le monde d'accord. Quoique... A eux de nous faire écouter de la coumba par le biais d'internet, et nous la Mano Negra et les Beruriers Noirs...

Nous avons ensuite décidés de bricoler quelques améliorations nous-mêmes, avec les moyens du bord. Clio a essayé un système de filet dit "chilien". Une sorte de licol avec deux ficelles de chaque côté auxquelles sont reliées les rênes. Le plus doux qu'il soit, sans mord, mais surement pas assez efficace en cas d'urgence. Nous voici donc lancés dans la couture cuir et nylon pour adapter des hackamores sur les licols. Plus sûrs et laissant l'embouchure libre. Il est vital que les chevaux puissent brouter tranquillement à chaque pose. De plus, le mord risquerait de blesser aux commissures à force d'être utilisé tous les jours. Un redoux nous permet de bidouiller cela tout en surveillant nos chevaux dans le pré improvisé aux clotures de fortune que nous avons établi au club Danes. Au début ils étaient libres d'aller où ils voulaient, mais à présent, ils lorgnent sur le seul endroit prohibé, le terrain de football et son herbe bien grasse. Alors nous jouons les bergers pour leur permettre un peu de liberté. Quelques balades à cru leurs permettent de se faire de libres ventrées d'églantiers dans la pampa.

La tension monte, ils commencent à être aussi impatients que nous de quitter cet endroit, de voir de nouveaux horizons et de se défouler. Le manque d'exercice se fait cruellement sentir. Nous avons dû arrêter de les monter car par malchance, un champignon des plus vicieux est venu se loger... au passage de sangle. Une sorte de teigne qui forme des plaques de croûtes et fait tomber les poils. Le moral était plutôt bas à la vue de ce coup du sort. Rita la première, des croûtes se sont formées sur la marque d'une ancienne blessure de sangle. Nous comme la vétérinaire avons pensés à une infection dûe à une mauvaise cicatrisation antérieure. Trois injections d'antibiotiques nous ont permis de nous faire la main en intra-musculaire mais n'ont pas suffit à endiguer le problème qui a commencé à devenir vraiment effrayant. Déconcertés, nous avons rendu visite à Dario et Babi afin de contacter un autre vétérinaire. Cela nous a presque soulagés lorsque Dario nous a appris qu'il s'agissait d'un "ongo", un champignon et que cela partait avec de l'iode. Tous ses chevaux ou presque l'ont contracté et toujours au même endroit. Quelques temps auparavant nous lui avions emprunté du matériel et il avait monté Rita avec sa selle. La contagion a dû se faire par les sangles. "Il n'y a qu'à laver au savon neutre, enlever les croûtes et les poils et mettre de l'iode." préconise-t-il. A cela nous avons ajouté une pommade anti-micotique achetée en pharmacie humaine. Effectivement cela éradique le champignon, mais Rita est toute mitée, Mouloud un peu moins. Seul Godofredo s'en tire bien. Nous pensons mettre une chambre à air de moto saupoudrée de talc autour des sangles pour le début du voyage afin de protéger la peau des deux micosés. En effet, le poil n'est pas prêt de repousser et l'automne nous presse de remonter vers le nord.
Les cîmes des Andes se parent de blanc, les feuilles jaunies pleuvent sur notre petite tente qui ne demande qu'à être pliée, le vent ne cesse plus. Nous avions déjà troqué nos duvets ultra-légers pour de plus épais allant jusqu'à moins dix degrés, et voici que la fraîcheur nous gagne alors que nous dormons tout habillés. Sont-ils de si mauvaise qualité ? Otto nous révèle que se sont bien les températures qui baissent jusqu'à moins sept degrés la nuit. Voilà qui rend l'attente des rendez-vous argentins un peu plus longue...

Enfin, nous venons de récupérer les livrets de santé de nos chevaux, à nos noms et dûments signés par l'organisme sanitaire légal, la Senasa. Nos trois compères vaccinés et en règle pour l'aventure. Ce fut le chemin de la croix et de la banière dont le mot d'ordre était la patience. En plus des non venues de la vétérinaire, la Senasa inventait des histoires pour nous mettre des bâtons dans les roues, et ce à cause des mauvaises relations entre vétérinaire et bureaucratie. Un coup nous ne pouvions pas acheter de chevaux ici car étrangers, ensuite il nous fallait un numéro de campo, puis que la personne atteste que les chevaux venaient réellement de chez lui. Heureusement que Django a un coeur en or et a bien consentit à jouer le jeu. Pour compliquer les choses, Godofredo n'avait pas de marque. Il a donc fallu en trouver une et l'apposer sur son royal fessier. Pour ce faire, nous devions mettre a terre ses quelques cinq-cent kilos avec l'aide de Dario. Entraves aux pattes et tirez sur la bobinette. Moment à la fois violent et impressionnant. Après avoir neutralisé la bête, Clio lui tenant les pattes, Dario le marque au fer rouge pendant que je suis assis sur son encolure pour l'empêcher de se relever. Nous espérons ne pas avoir à coucher un autre cheval mais il est toujours bon de savoir le faire en cas de nécessité absolue, de soins vétérinaires par exemple. Une fois encore, la gentillesse et le savoir-faire de Dario nous ont rendus service.

L'arrivée d'un colis marquera le départ. Des hipposandales, ou easy-boots viennent de France pour chausser nos canassons. Ce système permet de laisser les chevaux pieds nus, élimine le problème du ferrage tout en permettant de protéger les sabots lorsque le terrain est trop mauvais. Cependant, nous allons faire ferrer les trois avant de partir par Roberto qui est un bon maréchal. Cela va nous permettre d'avoir quelques notions de déferrage et de ferrage, mais aussi d'économiser les hipposandales qui ne durerons pas tout le voyage (elles sont données en théorie pour mille cinq-cent kilomètres) et dont le prix (soixante euros l'une) est tout de même élevé. Ici un ferrage complet coûte quarante euros. De plus, nous n'avions pas pu prendre les mesures des pieds de Mouloud qui refusait jusque-là de les donner. A force de patience et de répétition, il y a enfin des résultats mais il est trop tard pour lui commander ses chaussures.
Mouloud, le plus petit mais avec le plus de caractère. Il ne fait aucun doute que c'est lui le chef. Notre petit rebel... Celui-là nous sommes obligés de le faire travailler à la longe afin de le dominer. Au claquement du fouet, le voilà qui rue et qui pète tout en suant de derrière les oreilles. Petit cochon, un sacré numéro.

mardi 6 avril 2010

La caravane enfin au complet !

Il a fallu dix jours de longue attente afin de revoir Godofredo, le cheval de Roberto, un ami de Kata. Pendant que ce dernier était réquisitionné pour une cabalgata (excursion équestre), nous étions de plus en plus convaincus que c'était ce cheval qu'il nous fallait. Agé de huit ans, un physique de rêve et une voracité à toute épreuve, cela fait cinq ans qu'il vit au campo de Pitchi Leufu. Terrain aride, hivers très rudes, herbes sèches et piquantes au milieu des caillasses, cela ne l'empèche pas de se remplir l'estomac. Il mange tout, feuilles, branches, chardons, églantiers... Pour son mètre cinquante-huit, il tient la ligne.

Le jour dit, nous arrivons à point pour le voir de nuit. Le lendemain, c'est sous la pluie que nous le montons, à croire que ca sent la poisse. Tête de mule, il veut retourner vers son troupeau, mais il nous fait tout de même craquer. Le lendemain, pour le ramener à Dina Huapi, quelques vingt kilomètres plus loin, non seulement nous partons en retard, mais comble du comble, L'ex-femme de Roberto nous double avec tout le troupeau de Godofredo. Rien de mieux pour l'énerver. Arraché de ses racines, il les aperçoit sans pouvoir les rejoindre. De plus en plus nerveux, hennissant comme un beau diable, il nous montre bien là son instinct grégaire. Il est tellement concentré qu'il se saisit au passage d'un semi-remorque et fait un drôle d'écart. A partir de ce moment, nous ne sommes pas trop de deux pour le tenir, Kata suivant derrière en voiture, une boule au ventre. Perdant du temps, l'obscurité nous rattrappe, chose peu rassurante en bordure de route en compagnie d'un cheval surexcité. Heureusement, en arrivant au Club Danes, Rita est là pour le consoler. Ils forment le plus beau couple que l'on ait jamais vu !

Django et Monica tiennent une petite estancia au bord du parc national Nahuel Huapi. Ils y organisent des cabalgatas. Les collines à la roche turquoise, dominées par les pics acérés du Cerro Cathedral y sont hérrissées de pins. La petite baraque en bois domine les étendues oû leur troupeau broutte paisiblement. C'est en ce lieu enchanteur que nous sommes venus chercher Godofredo. Django nous avait présenté un de ses chevaux, mais celui-ci ne correspondait pas à nos attentes. Plein d'encouragement pour notre projet, Django téléphone à un voisin qui en possède deux autres à vendre.

Un double poney d'un mètre quarante-cinq croisé avec du criollo attire notre attention par sa morphologie parfaite pour un cheval de bât. Ce n'est que le vingt-septième cheval que nous voyons depuis notre arrivée en Argentine. Comme il n'a pas de nom, nous le baptisons. Dorénavant, Mouloud fait partie de la famille !
Le soleil est de retour pour accueillir notre petit Mouloud, avec comme cavalière Kata. Quelle joie de chevaucher tous ensemble au pied des Andes, en pensant à notre équipe enfin au complet. Bien qu'il ait l'air de ne pas avoir travaillé depuis longtemps, Mouloud est bien charpenté et se comporte à merveille.

L'Argentine est réputée pour la race criolla issue du croisement des chevaux hispaniques retournés à l'état sauvage, tout comme les mustangs. Ces criollos se sont adaptés aussi bien à la pampa humide qu'au dur environnement de la patagonie. Leur réputation de rusticité les précède. Petits, trapus à la large encolure, leur métissage est devenu une race à part entière. Aujourd'hui, les haras ont établis des critères de sélection et les vendent des prix onéreux. Il ne fait aucun doute que les chevaux des régions désertiques, livrés à eux mêmes, sont plus rustiques que les chevaux de pédigré des haras.
C'est donc composée de "meztisos", des vrais, que la caravane s'élancera sur le continent sud-américain !

AU TRAVAIL.

Il y a déjà mille raisons de haïr la ville, mais lorsque rien ne se passe comme l'on voudrait, il s'agit alors d'une descente dans l'enfer bitumé. Problèmes bancaires, paperasserie équine, matériel qui n'arrive pas, ajoutez à cela le stress des klaxons et la taille de short aux piétons, sport national des automobilistes... Et l'on pense à la famille à quatre pattes qui attend à l'ombre des arbres, avec en plus une inquiétude : Rustine s'est fait la belle cette nuit, au petit matin la voici la bouche en coeur et le ventre énorme. Pour couronner le tout, elle boite depuis une semaine et ses rixes avec les locaux n'arragent pas les choses. Comme cette dernière pète la forme tout en arborent son gros bidon, la seule hypothèse restant en fin de journée est le festin de crottin. Il faut dire qu'elle a l'embarras du choix avec nos trois compères grâce à qui nous ramassons une dizaine de seaux au quotidien. C'est sûr qu'un club récréatif c'est mieux lorsqu'on a pas les pieds dedans.

Merci à eux également de remplir nos journées. Plus une minute à perdre. Cette famille demande de l'attention et du travail. mais ce travail là vaut tout l'or du monde. Le petit Mouloud nous donne du fils à retordre en refusant de donner ses pattes arrières. Ce vieux garçon du campo a prit quelques mauvaises habitudes. Il est si mignon, et au caractère bien trempé, il fait peu à peu sa place au sein du groupe, jouant de quelques ruades ici et là. La récompense ? Des balades ensoleillées dans une pampa aux couleurs désertiques, teinté d'ocre, de rouge et de jaune, surplombant l'immense lac Nahuel Huapi et sa couronne de montagnes. Ici on oublie tout le reste. On pourrait y cheminer des heures, le calme appaisant. En s'éloignant des monstres urbains, la nature semble reprendre ses droits, peu à peu, au rythme des chevaux.