dimanche 19 décembre 2010

Corrientes la tropicale.


Les étendues cultivées font place à la forêt de montiel, épineux autochtone. Le poumon vert est à peu près protégé. Le cardinal à tête rouge y abonde, les colibris font du sur place en bourdonnant, cherchant à butiner quelques fleurs. La chasse y est prohibée, mais le goût pour sa pratique ainsi que l'attrait des argentins pour la viande font qu'on ne peut l'enrayer. Nous avons ainsi l'occasion de voir une dépouille de yacaré overo, une espèce protégée. Ce caïman peut atteindre trois mètres de long et sa queue est, paraît-il, succulente cuisinée en milanese. Le carpincho, plus gros rongeur du monde pouvant aller jusqu'à soixante-cinq kilo, est également très prisé pour sa chair et son cuir.
Le soleil cogne dur, l'eau des gourdes est délicieusement chaude. Une famille accourre à notre rencontre, insistant pour que nous passions la mi-journée chez eux. Silvia 31 ans, Roberto 47 ans et leurs six enfants allant de 16 ans à 5 mois nous invitent à déjeuner, soda frais avec des glaçons ça ne se refuse pas. Roberto est curieux et actif autour des chevaux comme un gosse, il semble passionné par les animaux ce qui ne l'empêche pas d'aimer chasser. Il raconte l'histoire d'un de ses chiens qu'il a du sacrifier pour protéger sa famille. Ce dernier était devenu fou suite à un choc avec une voiture. Une célèbre chanson de folklore conte d'ailleurs une histoire similaire sur un ton triste et prenant. La famille Arragones Gallardo est encore une fois l'exemple de gens humbles qui ont le coeur sur la main. L'honneur de la rencontre est réciproque, nous passons une bonne partie de l'après midi à discuter, le temps nous filant entre les doigts. Il est bon de retenir une parole censée de Roberto. "Je vis avec peu de choses mais je suis heureux comme cela. On peut vivre sans le sous au campo, mais au moins on a la tranquilité et à manger tous les jours grâce au bétail et au jardin. En ville, avec le même portefeuille on mourrait de faim sans compter les ennuis autour."

GARDES EN VUE

Alors que le ciel se fait menaçant, les sergents Paul et Rodriguez en tournée nous invitent à trouver refuge au commissaria. Peu habitués à l'amabilité et au sourire par les uniformes français, il n'est que de bonne surprise. Les chevaux sont lachés dans un prés fréquenté d'une seule vache accidentée dont le propriétaire ne daigne pas se montrer pour une histoire d'assurance. D'innombrables carcasses de voitures attendent qu'on leur rende justice. Paul se met en quatre pour nous cuisiner asado et guiso. La pluie fait rage. "L'herbe est haute, les chevaux ont de quoi se satisfaire, inutile de vous tremper, restez donc." conseille-t-il judicieuse
ment. A table, il nous raconte leurs expéditions et mises en planques pour traquer les voleurs de bétail dans les immensités des estancias. Faits plus que d'actualité en Argentine, il est si facile d'aller se servir dans le champ du voisin pour nourir sa famille.

DE LA VIE SOUS LES PALMIERS


Le rio guayquiraro et ses hautes herbes marquent l'entrée de la région de Corrientes. La nature retrouve ses droits. L'arroyo Barrancas est favorable à un peu de repos dans un lieu idyllique. Les paysages deviennent sérieusement tropicaux. Des palmiers se mêlent aux épineux jusqu'à prendre leur place. Les lagunes sont peuplées d'échassiers, de poules d'eau, de familles de carpinchos se baignant au soleil et de troupes de ñandus détallant sur leurs grandes pattes à l'approche du suspect. Les vautours tournent dans le ciel comme attendant la défaillance d'un des membres de notre tribu. Les mygales nous coupent sereinement la priorité sur la piste. Les moustiques y sont de plus en plus énervés. En faisant attention, tout l'environnement grouille de petites bestioles qui nous sont inconnues. D'étranges bruits fusent de tous les côtés jour et nuit. Qui a parlé du doux silence de la nature ? C'est une véritable cacophonie qui retentit là ! Avec la chaleur humide surviennent à intervalles réguliers des orages plus impressionnants que violents. D'imposants nuages noirs arrivent soudainement, crachant des éclairs qui donnent la chair de poule juste sous nos yeux. Est-ce le mythe des gaulois qui ont peur que le ciel leur tombe sur la tête ? Toujours est-il que nous ne sommes guère rassurés lorsque la tourmente nous passe dessus en grondant de toute sa fureur. Seuls les zébus se moquent de notre poncho, sorte de sac poubelle volant au vent.
Lorsque les nuages se dissipent, l'arc-en-ciel nous conduit jusqu'à son trésor, la famille Vera. Comme beaucoup aux alentours, les baraquements sont faits de murs en torchis et toîts de châume. Le contact est d'abord timide, un peu froid le temps de juger l'étranger, mais bientôt les visages s'illuminent. Chacun nous convie à sa table, les grands-parents puis les parents et les enfants pour partager récits de vie et spécialités locales comme l'oeuf de ñandu brouillé dans la farine et la viande. Le sergent Paul nous avait déjà expliqué l'organisation sociale de cet oiseau. Le mâle s'occupe de construire le nid au sol, puis couve les oeufs qu'y dépose son harem de femelles. L'éducation des oisillons est également à sa charge. Une répartition des tâches qui n'est pas commune dans un pays plutôt machiste que celui-ci. Marcela nous montre ses créations en laine qu'elle tire de leurs élevages de moutons. Après avoir lavé et filé la laine à la main, elle tisse bérets, pulls, couvertures, ponchos, tapis de selle... Nino a érigé un sanctuaire pour le Gauchito Gil. On le retrouve chez chaque habitant, et pour cause, ce saint populaire est originaire de Mercedes à cinquante kilomètres. Une des légendes conte qu'Antonio Gil était un voleur de troupeau d'une grande générosité envers les pauvres. Après avoir déserté la guerre des Trois Alliances, il fut capturé. Il aurait imploré son innocence puis conseillé à son bourreau de prier pour lui car il trouverait son fils malade en rentrant chez lui. De retour à Mercedes, le policier pria pour le Gauchito afin de sauver son fils. Lorsque celui-ci fut guérit, le policier donna une sépulture au Gauchito Gil, qui devint par la suite un sanctuaire aux drapeaux rouges. Claudio et Alejandra nous offrent un de ses bracelets rouges pour nous porter chance.
A peine vingt-cinq kilomètres plus loin, nouvel arrêt forcé par des trombes d'eau sur Perrugoría. Une bande de jeunes émmêchés nous invitent à partager leur Fernet-Coca pour passer la journée.

PECHE, NAGE ET CHEMINONS

En arrivant au Paso Cerrito, le rio Batel se jette dans l'imposant rio Corrientes. D'immenses lagunes sont le sanctuaire des familles du printemps. Tous les animaux se promènent avec leurs petits, copies conformes des parents. Chatons, poulains, poules d'eau rouges ou vertes, cannetons... Les Tero et les chouettes vizcachera ont élus domicile dans des terriers ce qui explique leurs cris tonitruants à l'approche des chiens. Les petits rentrent en vitesse se cacher sous terre. Les fleuves grouillent de pirañas, pacus, dorados, dentudos, amarillos et bien d'autres encore.

Pays des estancias qui détiennent les meilleures terres pouvant compter facilement jusqu'a quinze mille hectares chacune, subsitent au milieu de petites colonies. Chez les Sanchez, Jorges alias Negro fête ses trente-deux ans à grands coups de vin rouge. Les voisins finirons par se faire ramener chez eux par leur cheval qui lui au moins se rappelle de la route. Pour se remettre de ses émotions, Negro nous emmène pêcher le lendemain, et surtout nous montre un passage où les chevaux n'ont pas pieds. Premiers essais de nage équine. Godofredo qui n'a jamais froid aux yeux se jette à l'eau. La sensation de nager avec un animal de cette taille est exaltante. L'appréhension de couler est vite submergée par un envol aquatique d'une rare puissance. Rita d'abord un peu stressée, s'en sortira "comme un dauphin" triomphe Clio au second essai. Le très peu téméraire Mouloud n'a pas su enclencher la brasse. Il se cabre dans l'eau, refusant de ne plus toucher le fond. Nous aurions sûrement dû lui mettre des brassards.

Voyage éclair depuis Chavarría jusqu'au sud de la Patagonie avec les récits de voyage de Miguel Percara et sa femme autour d'un copieux apéritif dans leur précieuse demeure. Place aux étendues désertiques rocailleuses battues par le vent, aux colonies de pinguoins, de goëlands, de lions de mer et de baleines. La langue de glace du glacier Perito Moreno se brise dans un bruit sourd pour se jeter dans le Lac Argentino sous les yeux des hordes de touristes.
De leur côté Kika, Carlos et leurs enfants Juan et Fernando ont déjà programmé notre prochaine étape à trente kilomètres du village. Kika et Juan joueront même à l'assistance technique en venant nous amener de l'eau fraîche et des friandises lors de notre pause de midi. Rendez-vous à La Raquel, leur campo de Tacuaritas où Carlos prépare un succulent asado et entreprend par la même occasion de nous apprendre le Guarani, langue des indiens du même nom, originaires de la région. A Corrientes, elle est encore beaucoup pratiquée par ceux qui ont du sang indien comme les gauchos. Carlos ne cesse de nous faire rire, articulant du plus qu'il peut, faisant de grands gestes pour se faire comprendre. Le jour suivant nous accordons du repos à nos équipiers et sellons les chevaux du campo pour aller faire le tour de la propriété avec Juan et Fernando. Au milieu des vaches, buffles, chevaux, ñandus, l'amitié se créée. Nous nous quittons savourant cette belle journée sur un délicieux tereré*.

L'EAU QUI BRILLE

Nous voici à présent dans l'estuaire d'Ibera** où règne une grande polémique***. Un certain Douglas Tompkins, multimillionnaire et écologiste nord-américain, créateur des marques Esprit et The North Face, est aujourd'hui l'heureux propriétaire de quelques 180 000 hectares de l'estuaire. Sous couvert de l'association The Conservation Land Trust, il a déjà acquérit 300 000 hectares en Patagonie Chilienne ainsi que 62 000 hectares dans la province de Santa Cruz. Le dessein de cette association est d'acheter des terres pour les préserver, quelques fragments sont parfois offerts aux Parcs Nationaux. L'estuaire d'Ibera est déclaré Réserve Naturelle et compte 1 450 000 hectares. Sur toute cette superficie, pas moins de soixante pour cent des terres sont privatisées par de riches estancieros. La discorde part notamment des habitations de Yahaveré qui se trouvent sur la propriété de Tompkins. En Argentine, si une personne vit plus de vingts ans sur des terres, il peut alors prétendre à leur propriété sans avoir à les acheter. Les arrangements nous sont inconnus, toujours est-il que fusent histoires et racontards. Volonté d'un riche écologiste qui n'est sûrement pas sans conséquences sur la vie des populations occupantes et sur la jalousie de quelque-uns. D'un autre côté au vu de la politique terrienne du gouvernement qui vend les terres au plus offrand et que l'on constate les ravages des exploitations agricoles, on peut aussi penser qu'une des plus grandes réserves d'eau potable du monde, sa faune et sa flore sont ainsi protégée pour un temps encore. En dehors de ces faits, certains vont même jusqu'à nous raconter qu'il souhaite vendre de l'eau de l'estuaire en bouteille pour l'exportation, ou encore qu'il a dans l'idée de créer un second état d'Israël. On est en droit de constater que la désinformation est bien là.

TEMPS D'ORAGE

20 000 hectares de l'estuaire sont également consacrés à l'exploitation de bois. Des plantations de pins et d'eucalyptus bordent la piste. C'est la tente mal arrimée dans le sable que nous nous faisons surprendre par un nouvel orage. Elle fait des galipettes au vent que nous ne l'avons encore jamais vu faire. Le soleil rougeoyant du couchant passe sous le plafond noir d'encre. Il semble déteindre sur les troncs d'arbres, les peignant d'orange, faisant ressortir le vert foncé des pins et le fluo de l'herbe. Les éclairs mystifient l'atmosphère.
Chez Juan-Simon et Ramona, La tempête nous poursuit, le ciel s'illumine de toutes part entre les masses nébuleuses, digne de l'Histoire sans fin. Falcor le dragon-chien ne devrait plus tarder. Par deux fois, la foudre tombe juste à côté de la maison. Juan-Simon fait alors brûler de la laine de mouton afin d'éloigner le tonnerre. "Un remède antique." nous explique-t-il dans une fumée nauséabonde. Une troupe d'une cinquantaine de chevaux, petits et la peau sur les os rend la vision apocalyptique. Nous en verrons beaucoup d'autres dans la région. Ils sont non seulement parasités, mais aussi atteinds d'anémie. Cette maladie transmise par le sang détruit toutes les défences immunitaires. Notamment véhiculée par les taons, elle fait rage en pays tropicaux.

RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE

L'orage a bien rafraîchit l'atmosphère, nous nous remettons en chemin sous le soleil pour Conception et Mburucuya à la recherche de fers pour Rita. Chose peu évidente dans une région sabloneuse où personne ne les utilisent. Les baraques de fortune sont construites avec les chutes de bois des exploitations alentours. Beaucoup de gens marchent pieds nus, la corne suffisemment développée pour ne pas sentir tous les piquants de la végétation.
Un type arrive au loin, sac sur le dos. Une fois à notre hauteur, nous échangeons quelques mots. Un accent certain trahit son origine. "Mais tu es français non ?" Et à lui de balbutier de surprise. A vingt ans, Thomas c'est mis en tête de travailler et de voyager en alternance. Voici un mois et demi qu'il est arrivé en Argentine. Comme l'auto-stop ne marche pas, il a préféré prendre ses semelles pour rejoindre le Parc National de Mburucuya. Demi-tour finalement vers la ville pour aller fêter cette impensable rencontre. Avant cela, nous devons faire des pieds et des mains pour trouver un pré pour les chevaux. A la nuit tombée, Laurena et Gaby viennent à notre rescousse nous proposer un endroit de rêve. Elle travaille au Parc et lui se réoriente en préparant un diplome de guide touristique après que sa boite ait coulée. Passionné par les chevaux, il part randonner tous les ans jusqu'à Itati à cent vingt kilomètres pour aller visiter la vierge. Ce sont quelques mille cinq cents cavaliers qui y partent en pèlerinage pour le treize juillet. Il nous permet de rester ici le temps souhaité et nous accordons une semaine de repos à la caravane. Nous prenons alors véritablement conscience de la faune singulière qui nous entoure. Lors d'une partie de pêche avec Thomas, nous ne pouvons sortir que des pirañas pleins d'arrêtes, gare aux doigts en enlevant l'hameçon. Des yacarés nagent dans le bassin voisin. Des singes hurleurs sautent de branche en branche au dessus de nos têtes dans un concerto de cris primitifs. Une yararà, ou vipère de la croix se balade même sur la place du centre ville. Un homme la tuera d'un bâton pour le danger qu'elle représente. Les papillons sont tous plus grands et colorés les uns que les autres. D'énormes crapeaux plus imposant qu'un chaton gobent les moustiques jusque dans les maisons. Les marécages résonnent de déconcertants miaulements, des grenouilles bien dissimulées y seraient à l'origine. Et le scorpion se blottit sous la peau de bête de notre selle...
Chacun reprend bientôt sa route, le père Noêl et le père Fouettard doivent nous attendrent pour faire la fête à Corrientes, assis tranquillement sur leurs chaises longues en sirotant un tereré à l'ombre des palmier.




*boisson rafraîchissante d'herbe maté infusée dans du jus de fruit et des glaçons.
**en langue guarani : I = eau ; Bera = qui brille
***liens vers la polémique :
- http://www.cadenaazulyblanca.com/index.php?option=com_content&view=article&id=16603:ibera-acusan-a-tompkins-de-ocultar-terraplenes&catid=40:interior&Itemid=53

- http://www.mimercedes.com.ar/masnotas.php?ampliar=967

- http://www.rodolfowalsh.org/spip.php?breve1353

- http://www.theconservationlandtrust.org/esp/noticias/faq.htm