samedi 4 septembre 2010

Vuelta criolla.


Un vent froid souffle sur le "campo de jinetead". Un bon nombre de spectateurs sont pourtant venus admirer la fête de jeux d'adresses criollas. Les concurrents ont revêtus leurs plus beaux effets. Bottes de cuir, pantalons gauchos, vestes en cuir, pulls-over blancs et foulards rouges, bérets ou chapeaux noirs. Des ceinturons ornés de pièces de monnaies ou poignards en argent finissent d'habiller leur homme. Les chevaux sont rasés de près, crins et queues coupés. Ils portent de beaux harnachements en cuir tressé.
Des hordes de cavaliers s'élancent tout à tour au grand galop. Ils tentent de décrocher avec un pic de bois tenu en main de minuscules anneaux suspendus à un portique. "La carrera de sortijas" ou course des bagues. Chacun a droit à quatre passages et celui qui enlève le plus d'anneaux remporte l'épreuve.
Un peu plus loin, le duel de la " preuva de riendas", l'épreuve des rênes. Cette course consiste en un aller en ligne droite, un aller retour en slalom entre les "tamboures", et le dernier retour en ligne droite, le tout bien sûr au galop.
L'ambiance est bon enfant et divertissante. Yamila n'aura pas pu résister à l'envie de nous faire monter sur l'estrade pour nous présenter. Nous nous lançons alors dans un duel aux "tamboures" avec Rita et Godofredo... pour la postérité.


SAN JOSE, BEAUTE INTERIEURE
La semaine est passée vite, trop vite. Les habitants de San-Jose sont attachants. Alors que nous avons élu domicile à la salle des fêtes communale, nous n'aurons de cesse d'avoir des visites de curieux de tous âges et de tous milieux après notre interview pour la télévision locale. Peaux tannées, piercings et dreadlocks ne passent pas inaperçus en ville...
Le vendredi, c'est le jour des peñas. Les hommes se réunissent entre eux toutes les semaines. Jorges Passelli, le président du centre traditionaliste nous invite à déguster un porcelet avec ses amis. Profusion de viande et de vin sur une immense table dressée dans son atelier de mécanique, entre tracteurs et clés à molette. Clio, comme à la fête criolla, est la seule femme à s'immiscer dans ce monde d'hommes. Jorges en profite pour nous dévoiler sa collection de canaries, de perdries du monde entier ainsi que ses faisans aux plumes et aux couleurs spectaculaires.
Chacun cherchant à comparer, les questions fusent sur notre mode de vie et celui des français. Toujours est-il qu'à l'atelier on paye au travail effectué et non à l'heure, car vu le nombre de matés que boivent les argentins, la note serait salée.
Le plus difficile sera de quitter nos nouveaux amis. Une bande de joyeux lurons entre vingt-cinq et trente ans. Marcelo alias Pacha assiste son père dans sa concession de machines agricoles. Sa copine Yamila termine ses études de communication à Rosario. Grâce aux économies de cinq ans de travail à Mexico, Juan-Pablo et Natalia ont pu ouvrir un négoce de pièces détachées automobiles. Alejandro lui a tellement de bagoût qu'il n'est guère étonnant de le voir faire le commerce de chevaux de polo entre l'Argentine, l'Europe et même la Chine. Francisco désirait nous montrer comment travaille sa famille "typiquement argentine" se plaît-il à dire. Ils gagnent leur vie d'élevage de bétail et de production de céréales. Malheureusement une migraine sournoise l'a empêché de tenir sa promesse un lendemain de cuite. Une même passion lie les garçons : le cheval. Ils se retrouvent autour du pato, polo, courses de tamboures, défilés... et bien sûr pour faire la fête. Le délire est au rendez-vous. Rires, bières, asados et même discothèque. Une vague de jeunesse qui nous ressource.
Sur le point de partir, Clio se coince le doigt dans la longe alors que Rita s'agite. C'est les yeux mouillés de douleur mais aussi par le cafard qu'elle quitte San-Jose de la Esquina à reculons.

EL TROPERO
Jorges a prévenu le président du centre traditionaliste de la prochaine ville de notre arrivée. Partant à midi, cela relève du défi d'abattre la quarantaine de kilomètres qui nous sépare d'Amstrong. Nous arrivons pourtant avant la nuit pour traverser le pont surplombant l'autoroute. Epreuve stressante mais achevée sans difficulté. Le secret : monopoliser la chaussée pour faire ralentir les plus pressés.
Beto vient à notre rencontre pour nous conduire au Tropero. Le centre possède de belles infrastructures. En plus d'organiser fêtes et défilés, ils exercent l'équinothérapie. Cela consiste à la rééducation d'enfants handicapés ou en difficulté par le biais de l'équitation. "La province nous verse quelques aides, mais le plus gros du financement est de notre poche." Explique Sergio qui accueille nos chevaux. " Cette activité n'a pas encore de valeur aux yeux du gouvernement." Déplore t-il.
Dévorant un saucisson qu'un mécano nous a offert à l'entrée de la cité, nous sentons une embuscade. C'est bientôt une douzaine de personnes qui débarquent pour manger un asado en notre honneur. Franco et Gonzalo jouent des airs de Folklore. Ils content aussi un poème traitant de la guerre des îles Malouines en 1982. Histoire d'un gouvernement qui a envoyé de jeunes soldats à la boucherie, sans vivres et sans armes, et qui a détourné les collectes de solidarité organisés dans le pays, préférant s'enrichir et sacrifier son peuple.
Exténués, nous allons nous coucher impressionés et admiratifs de cet accueil bien criollo.
Touchante attention, au petit matin Beto, Gato, Franco, Fernando... tous passent nous voir apportant le petit déjeuner et provisions pour le voyage. A croire qu'ils veulent nous engraisser. Trainants à discuter et alpagués par la télévision locale, nous ne réussissons toujours pas à partir tôt.
La sécheresse a laissé les pistes dures comme du béton. Les easy-boots nous créées des problèmes, entre autres blessent les glômes. Il va nous falloir abandonner ce système et refferrer les chevaux. Perdant du temps, fatigués, énervés, l'endroit rêvé nous tend les bras. Un champs d'herbe verte traversé par un ruisseau dont la clôture est à terre. Voici une éternité que nous n'avons pas planté la tente. Nous aprécions la tranquilité de la nature, le chant des grillons, le cliquetement des grenouilles et les piqûres des moustiques. Les beaux jours reviennent. Les chevaux commenecent à perdre leurs poils d'hiver.
Mouloud et Godofredo jouent à saute-mouton avec les entraves. Ils trouvent encore le moyen de faire une démonstration au galop à la vue d'un chien se promenant avec une brebis dans la gueule. Quoi de plus normal ? Sacré Mouloud, il ne cesse de faire le pitre, Il tient une forme olympique. Il nous faire rigoler sans arrêt en arborant un sourire chevalin lorsqu'on lui gratte le nez. Ses petites oreilles dressées et son gros postérieur lui confèrent un air comique. Alors qu'il s'excite à la vue de chaque congénaire ou de chaque camion qu'il croise, nous mettant alors les nerfs à bout, un gaucho le prend même pour un poulain. Il a douze ans, c'est la plus vieux de la bande. Le voyage c'est la jeunesse !

EL MANGRULLO
En arrivant à Las Rosas, Titin fait un bout de chemin avec nous sur son petit criollo. C'est le fondateur du centre traditionaliste El Mangrullo. Il tient lui aussi à faire une interview à l'entrée de la ville. C'est de bonne guerre, ici la chaine marche toujours. Fernando du Tropero a prévenu le president du centre de notre venue. José nous attendait la veille. Après avoir bataillé avec lui, il laisse nos herbivores broutailler un peu de son foin. Angel vient à notre rescousse. Ce petit vieux vient de perdre toutes ses vaches laitières d'une maladie. Il tente de vendre son cheval pour pouvoir reconstituer son cheptel. Généreux et pourtant sans le sou, il nous offre tout de suite du foin. Nous insistons pour lui payer. Il ira dépenser ces quelques pesos à la loterie, jeu national adulé par les argentins.
En repartant, de nombreuses personnes nous arrêtent sur le chemin. Familles, curieux et même de respectables gauchos nous encouragent. Cela nous fait chaud au coeur. Nous venons cependant de prendre une décision à contre-courant. Nous faisons demi-tour pour retourner à San-Jose. Nous aurions pu continuer encore une quinzaine de jours avant de trouver un endroit adéquate dans l'attente du poulinage. Cependant malgré la forme olympique de Mouloud, il aurait bien besoin de se laisser pousser les poils que les tapis et la sangle lui ont limés. La croissance de son système pileux n'est pas aussi vive que les autres. De petites gonfles apparaissent aussi sur le dos de nos fidèles destriers. Avant de se quitter, Yamila nous avait glissé à l'oreille que son grand-père pouvait nous prêter son campo et une maison. L'idée de revoir notre bande de San-Jose et de passer davantage de temps avec eux nous séduit. Après trois mois soit plus de mille cinq cents kilomètres parcourus, le repos s'impose. Et qui sait, peut-être que notre futur équipier y verra le jour ?

Nous revenons tranquillement, gérant avec attention les kilomètres et les pauses. Nous ne nous arrêtons donc pas au Tropero mais cela nous permet de rencontrer la famille Ciccarelli qui vit à douze kilomètres d'Amstrong. Horacio est fier que nous aimions son pays. A noter qu'il est difficile de faire plus chauvin qu'un argentin. Autour d'un saucisson du terroir, nous parlons d'agriculture. Une fois de plus, il témoigne des traitements déraisonés que subissent les plantations. Désherbant avant de semer, puis fertilisant, puis pesticides, et ainsi de suite... Les paysans se rendent compte de la toxicité des produits, et pourtant ils continuent. A la clé, toujours plus d'argent promis. Ici personne ne veut boire l'eau courante, encore moins celle des rivières. Plus d'un argentin nous a déjà fait part de son inquiétude sur la guerre de l'eau potable menaçant les années à venir, argumentant que leur pays en est une des réserves majeures.
Trois mois dans l'année, Horacio part avec les machines et sa roulotte pour suivre les moissons. Il vend ses services à plus de mille kilomètres de là. Il relègue alors toute la gestion de la ferme à son fils. "Lorsque mon père n'est plus là, tout se complique pour moi, plaisante Pablo, l'administratif n'est vraiment pas mon fort !"

Comme pour témoigner de cette violence de l'homme à l'encontre de mère nature, un petit opossum sonné par le choc d'une voiture, le souffle court, nous regarde sur le chemin avec des yeux remplis d'agonie. Anecdote surement sans importance ou sensiblerie exagérée, pour nous c'est l'image d'un regard qui en vaut d'autres.