jeudi 25 novembre 2010

Du rodéo et des copains.


Nelson Lezcano, alias Teke, nous ouvre grand les portes du centre traditionaliste El Crispin Velazquez. un personnage garde les lieux. Maximo Noguera, gaucho retraité à l'allure rustique abrite une gentillesse inégalable. nous partageons de nombreux repas au cours desquels il nous faut tendre l'oreille pour décrypter son dialecte et ses récitations de folklore. Ses grommellements sont ponctués de petits rires dans sa moustache. Lui non plus ne comprend rien à ce que nous baragouinons, alors il hoche la tête avec un "mmh mmh" qui veut tout dire. Il fut un temps ou jamais nous n'aurions pensé franchir cette nouvelle barrière de langue. Teke, le présisdent de l'association est un passionné de jineteada*, et sous ses airs de bureaucrate il est intimement lié à la vie de campo. C'est une surprise de taille lorsqu'il nous annonce qu'il avait pensé nous offrir un cheval pour compléter la caravane. Pensants d'abord à une blague, il affirme pourtant être sérieux. Offre dépassant la simple générosité que nous nous devons de décliner pour de multiples raisons. Elle restera cependant gravé dans nos esprits.
Au moment de partir, les deux compères nous invitent à rester jusqu'à la grande jineteada qui a lieu dans une dizaine de jours. Un coup d'oeil à la carte et nous leur promettons de revenir assister à cette tradition qui leur est si chère. Le délai nous laisse le temps d'une excursion jusqu'au parc national El Palmar.

UN TOUR DE PALMIER

Sur le chemin, de nouvelles activités agricoles apparaissent. D'immenses poulailliers répandent leurs odeurs de plumes et de fientes aux alentours. Des tracteurs nivellent des champs de riz que viendront innonder de puissantes et bruyantes pompes à eau. Quelques étendues de soja désherbées finissent de rendre l'aspect de désolation que nous croyions propre à la province de Santa-Fe.
A Villa Clara, ce sont la famille de Colacho ou encore Stella, Tito, leur fille Johana et leurs voisins qui nous honorent par de multiples attentions. Stella passionnées par les oiseaux en détient une impressionante collection en cages. Une petite carpincho apprivoisée fait aussi partie de la maisonnée. Deux gauchos nous ferons une belle démonstration de lasso bien rock n' roll. Une vache leur montrera qu'elle a plus d'un tour dans son sac et fera une patte d'honneur à l'abattoir, arrachant cordes et clotûres.
San Ernesto est une petite colonie d'origine russo-allemande fondée par l'arrière grand père de Manuel Hill. A quatre-vingt deux ans, Manuel monte encore à cheval pour faire le tour de ses champs et y arracher les mauvaises herbes du haut de sa selle, binette en main. Dingue des chevaux, il a su constituer un sublime troupeau de robes pies dont certains semi-sauvages, crinières longues et emmêlées. Manuel, sa fille Martha, Tatino et leur fils Maximiliano nous convient à leur table pour un repas de roi, insistants pour que nous repassions les voir au retour. Ce sera chose faite et l'accueil est toujours aussi chaleureux. Vingt-cinq kilomètres plus loin, c'est au tour de Miguel d'accueillir dignement notre tribu. Silvio, un de ses amis qui s'occupe de chevaux de course vient prodiguer quelques judicieux conseils lors du ferrage de Rita.
Sur un coup de téléphone c'est le branle-bas de combat. Tout le monde en route, vite ! Yoann et Marilyn sont arrivés au Palmar à bord de leur Dodge aménagé, bière sous le coude pour fêter les retrouvailles. Huit mois sans voir les amis c'est long. Autant dire que le plaisir est immense de se rencontrer au bord du somptueux rio Uruguay, parmis les vizcachas qui sautent de joie en renversant les tant convoitées poubelles du camping. En plus de ces drôles de rongeurs, le parc abrite paisibles carpinchos, iguanes aux allures du jurassic, couleuvres vertes, chevreuils, ratons laveurs, nandus, piranhas...

TEMPS DE FÊTE

De retour à Villaguay, la tribu française s'agrandie. Julien arrive en camion de Bariloche où il a travaillé en saison d'hiver après avoir baroudé vers le Brésil, la Bolivie et le Pérou. Deux nouveaux arrivants sur le continent se greffent à son équipage : Etienne dit Piou-Piou et Bat le chauve qui sourit. Les rives du rio Villaguay se prêtent alors aux barbecues, aux balades à cheval qui martyrisent les derrières, et bien sur à la fête. Piou-Piou devient Papa vizcacha avant d'entrer en hibernation, ju la tortue tordue et Yoyo le carpincho (prononcer chocho, à l'argentine). Nous ne demandions pas mieux que du rire en compagnie de telles personnes, interressantes et motivées. Malheureusement ce genre de moment ont toujours un goût de trop peu. Au bout d'une dizaine de jours passés ensembles, chacun reprend sa route vers le brésil, la Bolivie ou autres destinations non programmées et à durées indéterminées.


Il ETAIT UNE FOIS LA JINETEADA

Les chevaux sont en vacances dans un champs de luxe. Teke les a confié à son troupeau de jineteada à la sortie de la ville pour que nous puissions assister à la fête de la tradition au Crispin. Le premier soir, un défilé digne de ce nom ouvre le bal avec pas moins de quelques cinq cent cavaliers. Pour alimenter un public carnivore, cinq vaches sont sacrifiées pour faire un "asado con cuero" et du "chorizo". Vingt troupes de dix chevaux chacunes sont présentes. Le samedi soir a lieu le rodéo en nocturne dans la catégorie "crines", c'est à dire à cru. Les conccurents se font rapidement éjecter. Le lendemain démarre la catégorie "basto" avec selle et lanière de cuir en guise de frein.
Les animaux sélectionnés sont ceux qui "n'ont pu être débourrés" et qui "restent mauvais" nous conte-t-on dans l'assistance. Chaque cheval est amené pour être attaché à un poteau afin de le préparer. Nombreux sont ceux qui se débattent, sachant pertinament le sort qui leur est réservé. Ils tirent brusquement et de toutes leurs forces sur la corde au risque de se briser la nuque, perdent l'équilibre et tombent lourdement sur le sol. Si ces derniers ont le malheur de rester couchés, ils se trouvent assénés de violents coups de pied et de fouet.
Vient alors le paysan armé de ses bottes en cuir de poulain, de ses féroces éperons et de son rebenque. Il se met en place, la cloche sonne, on largue le cheval et le cavalier cravache de toutes ses forces en lui plantant les talons dans les côtes. Le cheval se débat, se dresse de toute sa hauteur, saute en long et en large, bondissant et ruant jusqu'a ne plus toucher terre, tombant parfois. Le public siffle, acclame. Les chevaux poussent des râles de souffrance. Deux cavaliers viennent secourir le paysan au vol. Lorsqu'ils arrivent trop tard, celui-ci s'écrase contre terre, finissant en ambulance. Ça peut tout aussi bien être le cheval qui ne se relèvera plus jamais. "C'est un sport, nous dit-on dans les tribunes, le paysan risque sa vie pour gagner la prime." Tradition omniprésente dans la culture argentine, largement diffusée à la télévision, elle enchante le milieu équestre y compris ceux qui se disent amoureux des chevaux.


OASIS DE VIE SAUVAGE

Il est temps de fouler à nouveau la terre des chemins. Mouloud semble vivre une histoire d'amour avec Marilyn. Cette dernière nous accompagne une journée chevauchant notre cheval rebel malgré un temps pluvieux. Yo nous rejoint le soir dans une grande estancia où nous avons attendu une heure et demi la permission du patron vivant à Buenos Aires. Ici la plupart des propriétaires de ces riches établissements sont citadins ou étrangers et permettent rarement à qui que ce soit d'entrer sur leurs terres. Nous avions déjà quitté les copains à reculons, mais cette fois nous poursuivons notre migration en compagnie de cette chère "cucaracha**". La tristesse des paysages agricoles nous poursuit, encerclant quelques minuscules domaines aquatiques qui hébergent pour un temps encore, une faune diversifiée. Nous atterrissons au royaume de la loutre et des renardeaux où se mêlent multitude de poissons, lucioles, ipacaàs, chajàs, caranchos. "C'est incoyable toute la vie qu'il y a ici !" pense tout fort Clio, et comme pour appuyer ses dires un crapeau comique saute par dessus son épaule pour atterrir à côté de notre casserole de pâtes. Chaque point d'eau est aussi propice à une baignade des chiennes qui haletent déjà fort à marcher en plein soleil, les épineux en bordure de chemin ne fournissant guère d'ombre. On ne cesse cependant de nous mettre en garde contre l'eau contaminée par les produits de traitements agricoles.
En amont du rio Gualeguay, c'est la première fois depuis le début du voyage que nous trouvons un havre de paix en pleine nature "sauvage". Nous ne pouvons qu'y marquer un arrêt prolongé. Un monde d'insectes tous plus étranges les uns que les autres remplit de chants d'oiseaux. Le rio est tellement poissoneux que malgré nos maigres talents de pêcheurs, nous agrémentons chaque repas de succulents carnassiers grillés au feu de bois.


*rodéo
**cafard