jeudi 28 octobre 2010

Entre-Rios, changement de décors.


Ce n'est pas sans émotions que nous quittons nos amis de San José. Nous faisons le tour des baraques pour saluer tous ceux qui nous ont merveilleusement accueillis ici. Derniers moments ensembles autour d'un repas, d'un maté, d'une bière... Nous sacrons même Raùl notre "grand père argentin".
Sur les chemins en terre, nous renouons avec tous les petits bruits de la nature, le plaisir de voir s'envoler tel oiseau à tête rouge, de regarder les perruches confectionner leurs impressionnants nids e
n jacassant, entendre le croâssement des grenouilles, le chant des grillons, les cris des hérons à la tombée du soir, l'odeur de l'herbe humide en allant se coucher. Tant de petites choses qui s'oublient lors d'une vie sédentaire et qui embellissent une journée. Le temps est pluvieux. Les chevaux patinent deux jours durant mais c'est de bonne guerre. La pluie a donné tout son éclat au printemps. L'herbe est verte et parsemée de petites fleurs. Nous faisons quelques bivouacs dans des maisons abandonnées dont les hautes herbes de la cour ont bien besoin d'être coupées. Nos trois tondeuses à pattes s'en chargent.
Arrivés à Zavalla en banlieue de Rosario, nous nous heurtons au pont Victoria. Impossible et interdit de passer à cheval. Quelques soixante-dix kilomètres pour traverser l'immense rio Paranà. Il faut alors remuer ciel et terre pendant deux jours afin de tr
ouver un van deux places à prix conpétitif pour surmonter cet obstacle routier. Cido et Carreras nous rendent ce service en deux voyages. Clio part devant avec Rita, les chiennes, le matériel et le soin de monter le campement. Pour ma pomme, le trajet avec Godo et Mouloud se fait de nuit. Le fleuve n'est qu'une tâche sombre dans l'obscurité. Je laisse à Clio le soin d'en dévoiler sa beauté :

Après avoir contourné la grande ville de Rosario, ses buildings impeccables mais aussi sa misère, nous entamons l'ascension du pont qui nous mènera à Entre-Rios. Changement de décors, le rio Paranà est large et majestueux. A notre droite Rosario s'éloigne doucement. Dans un bras du fleuve appelé le Vieux Paranà, une bande de jeunes s'y baigne, profitant des premières chaleurs. Nous passons une successions d'îles reliées par de nombreux petits ponts. Sur celles-ci se confondent lagunes et marécages. Mère Nature reprend ses droits, la végétation est riche et d'une palette de verts impressionnante. Des centaines de vaches sont à l'hôtel quatre étoiles, de l'herbe jusqu'au ventre. Quelques troupeaux de chevaux sont aussi maîtres des lieux. De nombreux oiseaux de toutes tailles et d'une multitude de couleurs s'activent à la construction de nids mais aussi à la pêche. Par endroits, les arbres sont si apprêtés qu'ils laissent à peine passer la lumière du soleil, hébergeant sûrement une faune extraordinaire comme le carpincho, le plus gros rongeur du monde. Pas une maison, seulement quelques pêcheurs munis de barques aux couleurs vives, quelques gauchos à cheval veillant sur le bétail. Un régal pour les yeux.

Cela ne fait que deux ans que le pont Victoria est érigé. Autrefois l'accès se faisait par balsa lorsque le rio daignait garder un niveau des eaux correct. ou bien par le tunnel subfluvial de Santa-Fé capitale. La province d'Entre-Rios était malgré elle isolée du reste de l'Argentine, son développement et son économie s'en faisant sentir. L'aisance financière n'est pas la même que dans le centre du pays. Les maisons restent modestes. Au campo les revenus sont limités. A nogoya, les quartiers des banlieues paraissent davantage désorganisés. "Ca sent l'Afrique la-dedans !" commente Clio au vu du fourbis qui règne dans la petite superette. Des meutes de chiens errants nous accueillent par de furieux aboiements, assaillant nos deux aventurières à poils. Kali fait mine de ne pas les voir alors que Rustine se rebelle, montrant les dents en se gonflant du plus qu'elle peut.
Aujourd'hui un second pont relie également Entre-Rios à Buenos Aires. L'agriculture intensive commence à y étendre son venin. Malgré tout ,la région reste bien dans la tradition criolla. A peine avons-nous ouvert un oeil de l'autre côté de la rive que des gauchos à cheval nous saluent, s'arrêtent pour bavarder. Les troupeaux de vaches et de chevaux abondent. C'est sous un soleil de plomb que nous découvrons une région vallonée, verdoyante et boisée. Nous laissons derrière nous la désolation de Santa-Fé.
Les chevaux ont le pas vif et un moral d'enfer. Mouloud hennit même chaque matin près de la tente, semblant pressé de se mettre en route. Ils ont l'air satisfait de cette nouvelle transumance aux généreux pâturages. Les jours s'étendent et nous permettent de faire d'avantage de pauses casse-croûte sur les meilleures touffes d'herbe. Ainsi ils arrivent le soir encore plein d'énergie et le ventre plein. Chez eux (chez nous aussi) c'est l'estomac qui commande ! A part cela, sept mois de vie en commun ont tissés des liens étroits dans notre troupe hétéroclite. Chacun peut compter sur l'autre. Seule Rustine gronde Godo par jalousie ou s'il vient fouiner dans sa gamelle. Ce dernier lui rend bien en lui mettant les oreilles en arrière si elle a le malheur d'être sur son chemin.

AU PAYS DES BESTIOLES

De multiples ruisseaux rendent l'abreuvement facile. Une nouvelle faune apparaît avec eux. Depuis quelques temps des iguanes d'un mètre de long abondent, quelques tortues d'eau montrent le bout de leurs carapaces. Ces reptiles devaient bien finir par en appeler d'autres que nous n'étions pas pressés de voir, les serpents. Tout le monde ne cesse de nous mettre en garde contre la tristement célèbre Yararà, une vipère qui peut atteindre un mètre soixante-dix dont le venin est particulièrement mortel. Dès le premier soir alors que nous avions établit le campement de nuit, un spécimen de soixante-dix centimètres de long s'était lové sous notre seau. Frayeur qui entrainera sa mort par le fil de la machette. Certaines personnes ayant vu "dos bichos raros*" passer sous leurs fenêtres ont eu le tact d'appeler la police. Daniel Barbossa vient donc nous rendre visite. Il nous rassure en analysant le pauvre reptile haché en morceaux et nous annonce qu'il s'agit d'une couleuvre de terre, inoffensive. Il restera bien une heure à papoter, lui qui n'a "rien d'autre à faire qu'à attendre la fin du mois pour toucher sa paye dans ce trou perdu", nous racontant des histoires d'extra-terrestres... Toujours est-il qu'à présent il va nous falloir redoubler de vigilance, autant pour nous que pour les chiennes qui passent leur temps à furetter dans les mauvaises herbes pour débusquer le gibier. Les jours qui suivent, ce sont des dizaines de couleuvres, toutes plus grosses les unes que les autres qui nous passent sous le nez, ou que l'on retrouve écrasées sur la piste. Ce n'est qu'en arrivant à Villaguay que nous voyons notre première Yararà tuée récemment. Un animal à faire froid dans le dos.
D'autres bestioles font rage. Les taons et les moustiques provoquent des oedèmes à Rita et rendent Godo fou, eux que le climat de montagne n'a pas préparé à cet ennemi obstiné. Un mélange de vinaigre et de citronelle semble faire un peu d'effet. Comme si les insectes ne suffisaient pas, Rita en chaleur ne contrôle plus ses pulsions et n'a de cesse de tourner autour de nos deux hongres, les collant au plus près, acceptant leurs morsures en guise de refus.

UN AUTRE RYTHME

Le temps nous l'avions mais il nous manquait. Ici les campos sont peuplés. A présent nous pouvons nous arrêter le midi pour partager quelques rencontres. La famille Affranchino au puesto de Villa Libertad nous réserve un chaleureux accueil, plein d'humour accompagné d'une bière fraiche. Le petit Luisito fasciné par les chevaux nous présente le sien fait d'une peluche et d'un bâton. Entre deux questions, il saute partout pour le faire avancer. Luis, le père de famille, en profite pour nous montrer le mio-mio, plante toxique pour les ruminants propre à la région. Nous apprenons qu'une technique gaucha consiste à la bruler pour en faire renifler la fumée dans le but de dégouter vaches et chevaux non initiés. Nous appliquons cette méthode même si nos équipiers ont l'air de dédaigner cette plante.
Vers Chiquiro, c'est Carlos et sa famille qui nous invitent à leur table pend
ant que les chevaux se reposent dans un pré. Beaucoup de familles restent unies. Ainsi cohabitent grands-parents et petits-enfants. Presque toutes vivent de bétail et du lait qu'elles en tirent. Chez Carlos, ce sont les femmes qui montent à cheval. Esther adore ce style de vie. Sa monture est un magnifique pie, une de nos robes préférées.
Maintes fois nous nous arrêtons pour demander notre chemin ou simplement pour discuter. L'arrêt en vaut toujours la chandelle, ne serait-ce que pour récolter un sourire.
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises en ce qui concerne l'hospitalité. Dix kilomètres avant Macia, deux types débarquent d'une voiture, prennent des photos, posent maintes questions, reluquent les chevaux. On se demande bien ce qu'ils peuvent nous vouloir. A notre tour de
questionner. Marcelo et Carlos sont passionnés par l'équitation. Le premier est maître d'école mais a réalisé récemment une cavalcade de sept-cent kilomètres entre Corrientes et Macia. Une sorte de pèlerinage pour y amener leur vierge. Carlos lui, travaillait avec les chevaux de course. La veille nous avions rencontré un groupe de paysans avec qui nous avions lié un bon contact. Ils nous avaient alors généreusement offert vingt kilos d'avoine. Ces mêmes personnes les ont prévenu de notre arrivée. Marcelo est venu à notre recherche pour nous proposer de s'arrêter chez lui. Les chevaux s'y retrouvent dans un grand champ. Nous faisons la connaissance de sa famille, ses amis dont Cuchi qui a participé à la randonnée. Ils organisent un asado "criollo y bien campamiento" sous l'arbre Tala, autochtone d'Entre-Rios. Cuchi ne cessera de conter des histoires gaucha, d'expliquer l'origine des traditions au coin du feu armé de sa barbe fournie et de son chapeau aux larges bords. Autant dire une merveilleuse soirée remplie d'attentions. Macia étant la capitale du miel, nous nous en verrons offrir deux pots. Abel, Viviana, Luz, Marcelo et Adriana nous offrent un livre reconnu comme une référence, "Martin Fierro" de José Hernandez. Cet auteur-poète y consigne toutes les scènes de vie du campo sous forme de vers. Cuchi ne peut s'empêcher de nous mettre en main un petit pécule qu'il est impossible de refuser sans le vexer. "¡ Del corrazon !**" dit-il insistant pour que nous allions au bout de notre aventure. Marcelo met le paquet en faisant venir tous les journalistes locaux pour que nous contions le voyage. Pour leur part, ce qu'il ont retenu de leur expédition à cheval fut le merveilleux acceuil que leur ont réservé toutes les populations rencontrées, la richesse des échanges humains. De tout notre coeur nous ne pouvons que leur souhaiter de vivre d'autres aventures similaires et les remercions pour celle-ci.
Sachant que notre prochain point de chute est Villaguay pour y renouveller nos visas, Marcelo appelle Nelson, le président du centre traditionaliste El Crispin qui nous accueillera bras ouverts. Pour y arriver, nous devons passer par le rio Gualeguay. La saison des pluies n'étant pas encore avancée, le niveau des eaux est bas. Le lit du fleuve apparaître ses plages de sables entourée de roseaux. Mouloud se sentant une âme de sirène se couche en plein milieu du cour d'eau, chargement sur le dos. Il n'en rate pas une. Nous nous accordons un bivouac en ce paisible lieu. Les poissons abondent, sautant hors de l'eau juste à côté de nous. Un pêcheur nous apporte un alléchant Sábalo à déguster grillé au feu de bois. Au lever du jour, quatre gauchos à cheval nous offrent une image d'une grande noblesse. Ils traversent dignement le rio avec un magnifique troupeau de chevaux, jument marraine en tête, les poulains encore tous frêles trottant en queue.



*deux étranges bestioles
**Du fond du coeur !

samedi 2 octobre 2010

Temps sédentaire et coup de théatre.

Un mois de repos c'est le plein d'énergie, un changement du quotidien pour tout le monde, ainsi qu'un regain de pilosité pour Mouloud. Un soulagement aussi, ce que nous croyions être des gonfles sur le dos de nos frères à quatre pattes s'avèrent être simplement des piqûres de moustiques plutôt voraces. Le matériel ou le travail ne sont donc pas en cause.
L'abandon du système easy-boots nous permet d'alléger de cinq kilos les caisses de bât (qui varient soixante et quatre-vingt kilos de chargement en tout, matériel et nourriture compris) et de ne plus perdre une demi-heure à les mettre le matin. Les chevaux sont de nouveau ferrés par nos soins, prêts à affronter des pistes plus abrasives.

C'est toute la famille Spárvoli que notre caravane se doit de remercier pour nous avoir permis cette arrêt prolongé. En effet Yamila ayant touché deux mots à son grand-père de notre volonté de trouver un endroit propice au repos, Raúl a proposé de mettre à notre disposition corral, campo et même une maison ! Ce dernier ainsi que ses quatre fils Walter, Marcelo, Adrian et Herman ont eux aussi émmigrés en ville tout en continuant leur activité agricole. Ils vivent principalement du soja et d'autres céréales. Comme beaucoup ici, ils utilisent également leurs gigantesques machines pour vendre leurs services jusque dans d'autres provinces.
Situés à douze kilomètres de San-José, notre principal moyen de locomotion est le cheval. Nous avons cependant de la visite tous les jours. Raúl élève des poules pondeuses et des cochons qui font d'excellents jambons, bondiolas et saucissons. Des centaines pendent au dessus de nos têtes dans la cuisine. Chaque prétexte est bon pour en décrocher un et accompagner le maté sous le patio. "Come Clio, come. Esta flaca !*" répète-t-il en jouant du couteau, clin d'oeil à l'appuis.
L'arrivée du printemps en plus de réveiller les insectes de tous poils permet de profiter de belles journées ensoleillées. De nombreux asados incitent à faire le plein de protéines en compagnie de nos amis autochtones. La sécheresse de l'hiver fait place à quelques pluies qui font (enfin) pousser une herbe nouvelle.

Un soir, une surprise de taille nous attend. Ale et Barby débarquent de la Pampa pour nous rendre visite à l'improviste. Une troisième retrouvaille ! Nous arrosons cela comme il convient et savourons ces moments de fous rires grâce à leur humour décalé.

Le week-end des 24, 25 et 26 septembre c'est la fête de la création du village, mais surtout de la Vierge de la Merced que les colons ont amenés avec eux. Au programme, communion groupée, retraite de la vierge, messe, fanfare de l'armée et... défilé de chevaux. Quelques cent soixante-dix cavaliers sont au rendez-vous avec leurs plus belles parures. Un régal pour les yeux. Venants de plusieurs centres traditionalistes et de plusieurs provinces, ils se réunissent le soir autour d'un banquet criollo et d'un concert de folklore.
Le monde du cheval étant petit, nous commençons à connaitre la plupart des gens présents, tous plus souriants et avenants les uns que les autres. C'est agréable de fréquenter de telles personnes.
Maintenant la condition physique de nos équipiers par des balades plus rythmées et récréatives, nous en profitons pour faire une excursion jusqu'à la colonie abandonnée d'Hansen. Nous y revoyons Emir et ses cinquante chats, buvons le maté avec Juan-José amoureux des chevaux. Il nous montre ses albums photos de famille, de jinetead et de défilés. Toute sa vie il a travaillé avec le bétail et tressé des parures de cuir. On peut lire en lui une grande tristesse lorsqu'il raconte que son médecin a finit par lui interdire de monter à cheval pour des raisons de santé.

DECONCERTANTE DISPARITION

Nous qui nous attachions à raconter des histoires à Rita pour qu'elle se sente bien, c'est finalement elle qui nous en a raconté. Son gros ventre, ses vilaines réactions au toucher, au serrage de la sangle, le liquide dans les mamelles, les avis de chaque homme de cheval rencontré... Il n'y avait pourtant guère de changement. De plus en plus dans le doute, nous décidons de faire une seconde fouille. Franco vient d'Arteaga pour la vérification. Qu'elle n'est pas sa tête en découvrant un ventre vide. Les bras nous en tombent. Les suppositions fusent, avortement, grossesse nerveuse... mais rien de tout cela ne colle. Nous finissons par prendre conscience d'une chose. Nicolas, le jeune vétérinaire qui a pratiqué la première fouille à Cutral-co s'est trompé. Science exacte d'un charlatan. Rita est simplement grosse et notre hongre Mouloud risque bien de pouliner avant elle. Incroyable !
Annonçant cet étrange rebondissement à nos amis argentins, je ne peut que citer les belles paroles de Roberto à Bariloche : "Las ilusiones estàn buenas para renovar el espiritú.**"
Regretté Takasuivre qui aura bien contrecarré des projets sans même être l'ombre d'un spermatozoïde.
Regretté poulain farceur, ton voyage s'arrête là, celui de la caravane peut continuer sans autre forme de procès.



* "Mange Clio, mange. Tu es maigrichonne !"
**"Les illusions sont bonnes pour renouveller l'esprit."