vendredi 9 juillet 2010

Hasta nuevo pasto, siempre !


La chaine de la Cordillière fait place au désert patagonien avec nostalgie. Les hauts sommets frisquets étaient d'une beauté inégalable. A présent tout est plat, sans eau et couvert de petits buissons épineux jaunis. La route tracée arbitrairement au milieu de ce grand rien parait interminable. Peu à peu, le vent installe les nuages, tout devient gris. L'atmosphère s'humidifie pour se mettre à perler. Un crachin envelloppe tout avec lui. Il pleut, tout le monde est trempé et pourtant il n'y a rien à boire, pas une flaque. Les chiennes assoiffées lèchent la tente mouillée.
Le premier village à vingt-cinq kilomètres de Zapala nous a permis de trouver du fourrage pour les chevaux qui ont passés la nuit le ventre vide, la ration d'avoine ne suffisant pas. Le vide sidéral remplit les deux étapes suivantes, seules quelques mines ont plantées des cigognes qui pompent inlassablement le pétrole de la région.. Un vieil homme ayant érigé sa maison sur le bord de route, sûrement pour la tranquilité du voisinage, n'a même pas d'eau à offrir pour nos animaux. Il nous faut pousser jusqu'a la raffinerie tenue par de riches étrangers et des vaches pataugeant dans le pétrole.
C'est détrempée et affamée que la caravane arrive à Cutral-Co, cité de l'or noir construite par et pour le pétrole. Les syndicats de miniers y côtoient casinos et vestiges de dinosaures. Oubliant la tristesse des murs d'une ville sans âme, nous y trouvons des habitants jovials et fêtards. Leur aide nous est précieuse. Cavaliers et aventuriers pas assez aguerris pour se battre contre cette région désertique, refusant de faire souffrir les chevaux, nous sommes certains de ne pas pouvoir les approvisionner sur au moins trois cents kilomètres. Nous arrivons à négocier un petit camion pour traverser la tant redoutée "Conquista del desierto" qui nous sépare de la pampa humide et ses riches pâturages. Cette même route qu'ont empruntés les colons pour y semer la mort chez les peuples indigènes de Patagonie de 1869 à 1879, est coupable aujourd'hui de nombreux accidents mortels dûs à la somnolence des conducteurs.

LA CONQUISTA

Petite nuit après une soirée reggae dans un bar de Cutral-Co, nous quittons la ville minière en compagnie de José et Horacio. Le stress de la montée dans le camion est à peine passé qu'un goujon de roue lâche. Ni une ni deux, les compères démontent le roue pour sortir le boulon qui frotte sur les freins. Sur les cents premiers kilomètres, des plateaux couleur ocre dignes d'une cachette de la horde sauvage dominent un lac de rétention, mais très vite le paysage devient déprimant. Plus rien ni personne à l'horizon. José redoute cette route et se concentre au maximum. Pour rester éveillé, il a bien choisi son copilote. Horacio lui n'a pas sa langue dans sa poche. quoique drôlement chauvin, il nous explique bien des choses intéressantes sur son pays, à sa version. Histoire, folklore, jinetiad, politique, relations avec les pays voisins, religion, tout y passe. Il nous conte également les légendes des croyances polpulaires. Sur les bords de routes, de nombreux petits mausolées aux multiples offrandes (drapeaux rouges, bouteilles d'eau...) sont hérigés à la gloire des saints Gauchito Gil, Difunta Correa, Santo Vega ou encore Ceferino Namuncarà.

REVOILA LA PAMPA

Au débarquement à General Acha, la différence de température se fait déjà sentir. Les perruches et les perroquets surpeuplent de majestueux eucalyptus. Les aigles partagent le ciel avec les colombes. Les renards gris gisent sur le chemins au bonheur des lièvres et des tatous. L'herbe y est abondante, faisant le bonheur de nos trois herbivores.
Nous gagnons Macachin par les chemins de terre, profitant de l'hospitalité de plusieurs estancias car nous sommes toujours au royaume des clôtures. Ce sera sans oublier l'accueil spontané de Louis et son petit rire malicieux alors que nous n'arrivions pas à nous remettre en route, profitant des rayons du soleil.
Pour faire une semaine d'arrêt, nous comptons sur un contact donné par Nicolas, un vétérinaire de Cutral-Co. Au haras de Macachin, nous rencontrons alors la famille Perez. Et quelle rencontre ! Le séjour ne fut que rires et chaleureuses relations humaines dans une maison pleine de vie. Ici, les arrières grands parents vivent sous le même toit que les enfants et les petits enfants. Il y a toujours quelqu'un avec qui passer un agréable bout de temps. Autour des chevaux avec Matias et Marino, à la cuisine avec Pichi et Carlos, à l'atelier avec Martin, à la saline avec Roberto, au pub avec Magalie, Matias et Herman, autour d'un asado avec Alesandro et Xavier. Clio profitera de tout ce beau monde pour fêter son anniversaire et semer le cri de la tucu-tucu. Ce petit animal nocturne qui vit sous terre fait un bruit sourd à qui il doit son nom qui résonne dans la pampa, et parfois dans la tête les lendemains de fête. Tous ces moments en leur compagnie sont inoubliables.
Guillermo qui s'occupe des chevaux de course s'est improvisé maître maréchal. Par son calme et sa gentillesse, il a su nous enseigner quelques bases. Ainsi nous defferrons tous les chevaux en prévision des pistes qui ne sont désormais plus qu'en sable.

RETROUVAILLES

Alors que nous projettions de passer par Maza non loin de là afin de revoir Barby et Alejandro rencontrés quatre mois plus tôt, les voici qui débarquent au haras. La mère de Barby qui vit à Macachin a tendu l'oreille lorsque l'on parlait en ville de deux français voyageant à cheval. Joviales retrouvailles inattendues. S'ensuivent asados traditionels avec leurs familles, tournées de maté et de bières, petites sorties équestres où Clio s'improvise monitrice avec les petites Muriel et Fatima.
Mais le temps passe trop vite et il est déjà temps de quitter la famille Perez, les Cuevas et bientôt les Aguirre.Moments émouvants aux yeux mouillés, les coeurs pincés des deux côtés. On se réconforte en se disant que c'est la magie du voyage, des moments éphémères et intenses qui ne l'auraient pas été en d'autres circonstances.
Maza, dernière étape avant de reprendre la route. Cet arrêt finit de nous achever. La semaine de repos était des plus fatiguante. Profitant en core un peu de nos retrouvailles avec Barby et Alejandro, les nuits se font courtes, ne suffisant pas à éliminer le houblon accumulé. L'arrivée de Takasuivre et l'appel du voyage nous pressent un peu et nous remettons un sabot devant l'autre.

TAKASUIVRE

Depuis quelques temps des doutes subsistaient. Chacun y allait de son avis, nous mettant dans l'embarras. Un ventre qui s'arrondit est synonyme de quelques vagabondages. Elle qui était même un peu maigre avant le voyage, Rita, jamais nous n'aurions douté de sa virginité. A Cutral-Co, un vétérinaire donnera le jugement final. Le polichinel est dans le tiroir depuis maintenant sept mois. Comme celui-ci contrecarre quelque peu nos projets, il n'aura pas d'autre choix que de s'appeler Takasuivre. Ce poulain va naitre pour voyager...
Il reste quatre mois avant qu'il ne montre le bout de son nez. Juste le temps de se rendre du côté de Cordoba pour y encontrer un meilleur climat et un campo un mois avant l'heureux évènement. Une fois que Taka galopera un peu trop du haut de ses trente jours, nous pourrons repartir vers le grand nord argentin au rythme des pauses tété.

MERIDIANO


Suivant le chemin de terre séparant la province de la Pampa et de Buenos Aires, le méridiano nous emmène jusqu'à Intendente Alvear. Les tatous grouillent distrayant nos chiennes pseudo chasseuses. Les champs des estancias ratiboisés par le bétail et un temps sec nous obligent à s'exiler en bord de chemin pour offrir des paturâges décents à nos quadrupèdes. Ce n'est pas sans une petite amertume car l'accueil et la sympathie des gens rencontrés semble croissants. A chaque arrêt, les questions ne manquent pas, à la ville comme à la campagne. Comme cette famille à l'image des caricatures de Molina ou Monteffusco regardant les étrangers arriver d'un oeil noir. Les enfants tapent dans le ballon au milieu des poules, un vieux gaucho au béret rouge affute un poignard pendant que le jeune s'amuse avec une carabine. Petite appréhension. "Mais vous n'avez pas peur de voyager tous seuls comme ça ? L'argentine est un pays où il y a beaucoup de problèmes entre les gens, pleine d'histoires de meurtres, de vols. Vous êtes mieux dans votre pays." nous lance-t-on. Finalement toute la famille attirée par la curiosité s'aligne devant l'abreuvoir, interroge, commente et se fend la poire en écoutant les anecdotes des voyageurs.

Au tour la télévision de nous conter une anecdote. Bariloche, deux jeunes délinquants de quinze ans tués par la police. La polpulation acclame et manifeste en faveur des forces de l'ordre. Pour un fait similaire en France, les quartiers seraient déjà à feu et à sang. Alors que nous nous indignons, autour de nous, tout le monde trouve cela normal, prétextant que ces jeunes étaient irrécupérables. "Ce sont des voleurs de voiture, des récidivistes, ils n'hésitent pas à sortir les armes. La police a fait son travail." nous dit-on.

AU ROYAUME DU POLO

Intendente Alvear ou la carotte au bout du baton. Qui dit royaume du polo dit transport de chevaux dans le monde entier. Edwardo Heguy propriétaire réputé fait le commerce de chevaux de polo avec l'europe. Pensant à une fin meilleure pour le voyage que de quitter nos trois compères, nous pensions nous renseigner pour continuer l'aventure ensemble en Europe. Rêve brisé, les tarifs atteignent des sommes astronomiques.

L'acceuil y est très vif. A peine arrivés, les chevaux trouvent une place, et sans avoir le temps de comprendre nous nous retrouvons avec Pablo et Kiko chez Diego pour fêter ses trente-quatre ans. Grand asado avec les amis et toute la famille. Porcelet et poulets se partagent la grille.
L'ambiance à la gancha de polo est des plus détendue. Le patron est en Angleterre. Quand le chat n'est pas là, les souris dansent. De plus, vendredi 9 mai est férié, une fête de la patrie dont personne ici ne connait vraiment la raison. Au son de la fanfare, les associations, les écoles, les moissoneuses batteuses, les footballeurs, les religieux, les cavaliers défilent sous la banière bleu et blanche. Les chevaux ont leur tenue d'apparat de cuir et d'argent, rasés de prêt des crins jusque dans les oreilles, à la coutume argentine. Les gauchos de Molina ont mis leurs plus beaux effets.
De notre côté, c'est la preparation et la réparation de l'équipement du cheval de bât qui prime. L'avaloire lui coupe les poils malgré tous nos arrangements. Nous réduisons le poids de charge tant bien que mal. La cerise sur le gâteau, Mouloud traine les pieds et use carré même sur le sable. Nous lui posons de nouveau des fers, effectuant le travail nous même cette fois, ne voulant plus tomber sur de mauvais maréchals comme à Cutral-Co.